23 Juillet 2010
|L’essai CAMELIA ouvre la voie à une prise en charge optimale
Comment traiter les patients co-infectés par le VIH et la tuberculose ? Plus exactement, à quel moment du traitement antituberculeux faut-il mettre les patients sous antirétroviraux, notamment quand ils sont très immunodéprimés ? Dans un essai clinique randomisé, des scientifiques cambodgiens, français et américains viennent de montrer pour la première fois que les antirétroviraux du VIH doivent être débutés deux semaines après l’initiation des antituberculeux. Un pas important pour la prise en charge de la co-infection la plus répandue et la plus meurtrière dans les pays à ressources limitées.
La tuberculose est la co-infection la plus fréquente chez les personnes vivant avec le VIH. Selon l’OMS, environ 1,37 million de personnes dans le monde sont atteintes par cette double infection responsable chaque année de 456 000 décès, soit environ un quart des décès parmi les patients co-infectés.
Le traitement des patients co-infectés par le VIH et la tuberculose est délicat : chacun des traitements peut provoquer des effets secondaires, il existe des interactions importantes entre les différentes classes de médicaments et le nombre de comprimés à prendre est élevé. Par ailleurs, le traitement simultané des deux infections peut entraîner rapidement une exacerbation des réactions immunitaires (réactions paradoxales). En novembre 2009, l’OMS a pourtant recommandé de débuter le traitement antirétroviral « dès que possible » dans les deux mois suivant le début des antituberculeux.
L’essai CAMELIA (CAMbodian Early versus Late Introduction of Antiretroviral drugs) dont les promoteurs sont l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et les National Institutes of Health (NIH) américains (essai ANRS 1295/12160 CIPRA KH 001/10425) apporte des données précises sur le « timing » optimal du traitement. Les investigateurs principaux de cette étude sont Thim Sok (Cambodian Health Committee-CHC, Phnom Penh), François-Xavier Blanc (Hôpital Bicêtre, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris) et Anne Goldfeld (Immune Disease Institute, Harvard Medical School, Boston et CHC). L’essai a été coordonné par le CHC avec le soutien du NIH et par l’Institut Pasteur du Cambodge dans le cadre du site ANRS du Cambodge.
Cet essai randomisé a été mené au Cambodge de 2006 à 2010 dans cinq hôpitaux et a recruté 661 patients infectés par le VIH et atteints de tuberculose. Les patients étaient sévèrement immunodéprimés puisque 72% d’entre eux avaient un taux de lymphocytes CD4 inférieur à 50/mm3 à l’inclusion. Un traitement antituberculeux standard a été administré à l’ensemble des patients dès que leur tuberculose a été diagnostiquée. Les patients ont ensuite été randomisés pour débuter la même trithérapie contre le VIH deux semaines (bras « traitement précoce ») ou huit semaines (bras « traitement différé ») plus tard. 332 patients ont ainsi été inclus dans le bras « traitement précoce » et 329 dans le bras « traitement différé ». Les patients ont été suivis 26 mois en moyenne. L’objectif principal de l’étude était de déterminer si l’introduction précoce des antirétroviraux permettait de réduire la mortalité élevée chez ces patients.
Les tout premiers résultats de cette étude viennent d’être présentés lors d’une session de late-breakers à la conférence IAS de Vienne le 22 juillet 2010. Ils démontrent que la mortalité des patients du bras « traitement précoce » est significativement plus faible que dans le bras « traitement différé ». Le risque de décès a pu être réduit de 34% dans le bras « traitement précoce » (p = 0.007). Les patients de ce bras ont néanmoins présenté plus de réactions paradoxales. Des études fondamentales associées à l’essai CAMELIA sont actuellement menées pour tenter d’en comprendre les mécanismes.
Cet essai randomisé est le tout premier à démontrer que l’introduction des antirétroviraux deux semaines après le début des antituberculeux permet de réduire de manière significative la mortalité des patients infectés par le VIH et atteints de tuberculose. Il constitue une avancée importante dans l’amélioration de la prise en charge des patients et de leur survie.
Source
Significant enhancement in survival with early (2 weeks) vs. late (8 weeks) initiation of highly active antiretroviral treatment (HAART) in severely immunosuppressed HIV-infected adults with newly diagnosed tuberculosis.
F.X. Blanc1, T. Sok2, D. Laureillard2,3, L. Borand4, C. Rekacewicz5, E. Nerrienet4, Y. Madec6, O. Marcy2, S. Chan2, N. Prak7, C. Kim8,9, K.K. Lak2,10, C. Hak11, B. Dim2,9,12, C.I. Sin13, S. Sun2,10, B. Guillard4, B. Sar4, S. Vong4, M. Fernandez2, L. Fox14, J.F. Delfraissy5, A.E. Goldfeld2,15
1. Pneumology Unit, Internal Medicine Department, Bicêtre Hospital, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, Le Kremlin-Bicêtre, France
2. Cambodian Health Committee, Phnom Penh, Cambodia
3. European George Pompidou Hospital, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, Paris, France
4. Institut Pasteur in Cambodia, Phnom Penh, Cambodia
5. Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), Paris, France
6. Institut Pasteur, Paris, France
7. Khmer Soviet Friendship Hospital, Infectious Diseases Department, Phnom Penh, Cambodia
8. Donkeo Provincial Hospital, Takeo, Cambodia
9. Médecins Sans Frontières, Cambodia, Phnom Penh, Cambodia
10. Svay Rieng Provincial Hospital, Svay Rieng, Cambodia
11. Calmette Hospital, Phnom Penh, Cambodia
12. Siem Reap Referral Hospital, Siem Reap, Cambodia
13. Khmer Soviet Friendship Hospital, Pneumology Department, Phnom Penh, Cambodia
14. Division of AIDS, NIAID, National Institutes of Health (NIH), Bethesda, United States
15. Immune Disease Institute, Harvard Medical School, Boston, United States
International Aids Society Conference, Vienna, Late Breaker presentation, July 22nd, 2010