Où en est-on ? Où va-t-on ?

Organisée par l'Alliance francophone des acteurs de santé contre le VIH (AFRAVIH), la 5e Conférence francophone VIH/sida se tient à Casablanca (Maroc) du 28 au 31 mars prochain. Différents travaux soutenus par l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), partenaire de la conférence y seront présentés. Ils permettent de mettre en lumière à la fois les progrès importants obtenus au cours des dernières années pour la prise en charge des personnes infectées par le VIH, mais aussi les nouveaux enjeux auxquels les pays du Sud sont aujourd'hui confrontés. En effet, si la mise à disposition des traitements antirétroviraux de première ligne s'est largement améliorée, les obstacles à l'accès aux antirétroviraux de seconde et troisième lignes restent majeurs. De ce point de vue, l'analyse des règles de la propriété intellectuelle au Maroc est éclairante des limitations auxquelles les pays sont de plus en plus confrontés. De surcroît, on assiste à une augmentation de la fréquence des comorbidités pour lesquelles les ressources thérapeutiques, faute de financements, sont très limitées.

L'efficacité des traitements antirétroviraux dans les pays du Sud peut être équivalente à celle obtenue dans les pays du Nord. C'est ce que confirme la plus ancienne cohorte de patients mis sous antirétroviraux en Afrique. Lancée en 1998 à Dakar (Sénégal), la cohorte Isaarv ANRS 1215 a inclus 403 malades. Douze ans plus tard, après une médiane de suivi de 90 mois, 70% des patients toujours en vie ont une charge virale indétectable avec un gain médian de lymphocytes CD4 supérieur à 400/mm3 (1). Un peu moins de 30 % des patients inclus sont décédés au cours du suivi. Cependant, on constate depuis un peu plus d'un an une augmentation de la mortalité au sein de la cohorte. « Celle-ci n'est pas encore significative, explique le Pr Eric Delaporte (UMR 145, Institut de Recherche pour le Développement, Montpellier), l'un des initiateurs de cette cohorte avec le Dr Ibrahima Ndoye (Institut d'hygiène sociale, Dakar), mais il est probable qu'elle est liée à une fréquence plus élevée des comorbidités ». L'allongement de la durée de vie des patients des pays du Sud s'accompagne, comme cela a été constaté dans les pays du Nord, de la survenue d'effets indésirables à long terme (néphrotoxicité, troubles métaboliques et cardiovasculaires notamment). « De surcroît, poursuit le Pr Delaporte, les évolutions démographiques et des modes de vie sur le continent africain favorisent l'émergence dans la population générale de ce que l'on appelle les « maladies de la transition » telles que le diabète, les pathologies cardiovasculaires et les cancers. Les systèmes de santé vont donc être confrontés au double fardeau de ces maladies de la transition et des conséquences à long terme de l'infection par le VIH. Dans le cas du VIH, il faudra faire face à d'importantes difficultés de prise en charge. Car si nous pouvons contrôler l'infection par le VIH grâce au soutien des programmes internationaux, il n'existe pas de telles ressources pour le traitement des pathologies qui lui sont associées. Nous sommes en effet dénués de moyens pour faire face aux comorbidités ».

Le défi des comorbidités : l'exemple de l'hépatite B

Cette problématique des comorbidités est illustrée par deux études portant sur la prévalence des hépatites virales en Afrique. Une enquête transversale réalisée auprès de 603 femmes à haut risque d'infection par le VIH au Burkina Faso (cohorte Yerelon ANRS 1222) montre une prévalence de près de 10% de l'hépatite B chronique et d'environ 7% de l'hépatite C (2). La prévalence de ces infections s'avère plus élevée chez les femmes coinfectées par le VIH par rapport à celles qui sont séronégatives. Réalisée en Côte d'Ivoire auprès de 495 patients infectés par le VIH, la seconde étude (cohorte Pac-Ci ANRS 1220) trouve une prévalence de 13% d'hépatites B chroniques (3). Surtout, cette étude met en évidence que 10% des patients présentaient une hépatite B occulte, non détectée par les tests classiques de dépistage.

« Compte tenu de la forte prévalence de l'hépatite B dans les pays du Sud, le dépistage de cette infection chez les patients séropositifs pour le VIH constitue un enjeu majeur, explique le Dr Karine Lacombe (hôpital Saint-Antoine, Paris), qui présentera une communication orale sur « Les nouveaux défis de la coinfection VIH-VHB » au cours de la conférence (4). Ce dépistage devrait être systématique avant toute mise sous traitement antirétroviral. Malheureusement, le test est rarement financé par les programmes nationaux et internationaux. Il est donc généralement à la charge des patients qui, dans un grand nombre de cas, le refusent pour des raisons strictement économiques. » Pourtant, la détection d'une coinfection par le VHB permet, d'une part, d'anticiper sur le risque de toxicité hépatique qui est majoré en cas de coinfection, et, d'autre part, d'orienter le choix des antirétroviraux. Parmi ceux-ci, deux molécules sont en effet actives à la fois sur le VIH et le VHB : la lamivudine et le ténofovir. Le second est particulièrement actif. Il a ainsi été montré dans la cohorte VIH/VHB Paris-Lyon (ANRS/Sidaction) que le ténofovir permet d'obtenir, chez ces patients, un contrôle de la réplication du VHB dans 98% des cas. De son côté, en raison d'une faible barrière génétique, la lamivudine expose à un risque de survenue rapide de résistance. « Le choix du ténofovir devrait donc être privilégié, explique le Dr Lacombe. Malheureusement, il est peu accessible car il n'en existe pas de version générique, contrairement à la lamivudine ».

Incertitudes sur les financements

Les contraintes financières pèsent fortement sur la prise en charge des personnes infectées par le VIH dans les pays du Sud, qui restent dès lors largement dépendantes des programmes d'aide internationaux. Or, la crise économique mondiale fait peser de lourdes incertitudes sur le devenir des fonds internationaux consacrés à la lutte contre le VIH/sida. « Pour la première fois depuis sa création en 2002, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui finance près de la moitié des programmes mondiaux d'accès aux traitements, a annoncé un déséquilibre entre la demande des pays et les fonds disponibles pour 2010 », déclare le Pr Jean-Paul Moatti (UMR 912 Inserm/IRD/Université de la Méditerranée, Marseille). Professeur d'économie et conseiller pour les affaires internationales auprès du directeur de l'Anrs, il interviendra en session plénière de la conférence sur ce thème (5). Des diminutions substantielles de l'aide internationale sont ainsi attendues au cours des prochaines années dans les pays du Sud qui risquent de pénaliser les programmes de prévention et l'élargissement de l'accès aux traitements. « Et pourtant, ces programmes ont montré leur faisabilité et leur efficacité ! » comme le démontrent les 20 contributions scientifiques qui constituent l'ouvrage « Accès décentralisé au traitement du VIH/sida. L'évaluation de l'expérience camerounaise » édité par l'ANRS, qui sera rendu public à Casablanca. « Il est indispensable de trouver des mécanismes de financement nouveaux et pérennes, comme ce fut le cas avec la taxe sur les billets d'avion qui alimente le programme UNITAID », explique le Pr Moatti.

Les entraves réglementaires des Etats

L'accès aux médicaments peut également être pénalisé par d'autres obstacles que financiers, ainsi que le montre une étude réalisée par Gaelle Krikorian (6) dans le cadre du programme « Recherches en économie de la santé dans les pays du Sud » de l'ANRS. Elle a analysé les politiques de protection de la propriété intellectuelle au Maroc et leur impact sur l'accès aux traitements. Ce pays s'est engagé depuis de nombreuses années dans une politique active visant notamment à favoriser l'accès aux antirétroviraux pour toutes les personnes infectées par le VIH. Parallèlement, en 2004, l'Etat a renforcé sa législation sur la propriété intellectuelle pour se mettre en conformité avec les accords de l'Organisation mondiale du commerce. Cette législation est devenue plus restrictive en 2006 à la suite d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. « La situation conduit à un véritable paradoxe, explique Gaelle Krikorian. D'un côté, la législation sur la propriété intellectuelle qui a été mise en place conduit à une forte recrudescence des brevets sur les produits pharmaceutiques, entravant de fait la commercialisation de génériques. De l'autre côté, les besoins en médicaments, surtout de deuxième et troisième lignes, s'intensifient. La pression financière qui en résulte menace l'accès aux traitements. Le Maroc est loin d'être un exemple unique. L'adoption d'une législation sur la propriété intellectuelle selon des standards trop stricts provenant de pays du Nord pose problème parce qu'elle n'est pas adaptée aux réalités des pays du Sud en termes de santé publique. »


(1)    A. Diouf, K. Ba-Fall, G. Batista et al. Efficacité à long terme du traitement ARV après onze années de suivi au Sénégal et problématiques actuelles : cohorte ANRS 1215. Atelier Antirétroviraux 1, 30 mars 2010, 5e conférence francophone VIH/sida, Casablanca, Maroc.

(2)    C. Huet, A. Kaboré, A. Ouedraogo et al. Prévalence des hépatites virales chez des femmes à haut risque d'infection par le VIH au Burkina Faso. Atelier Coinfection et hépatites B, 31 mars 2010, 5e conférence francophone VIH/sida, Casablanca, Maroc.

(3)    T. N'dri-Yoman, X. Anglaret, E. Messou et al. Prévalence des hépatites occultes B chez des patients infectés par le VIH avant mise sous traitement antirétroviral en Côte d'Ivoire. Atelier Coinfection et hépatites B, 31 mars 2010, 5e conférence francophone VIH/sida, Casablanca, Maroc.

(4)    K. Lacombe. Nouveaux challenges dans la coinfection VIH-VHB. Atelier Coinfection et hépatites B, mini-lecture, 31 mars 2010, 5e conférence francophone VIH/sida, Casablanca, Maroc.

(5)    J.-P. Moatti. Financement et politique de santé face au VIH. Session plénière, 29 mars 2010, 5e conférence francophone VIH/sida, Casablanca, Maroc.

(6)    G. Krikorian. Propriété intellectuelle et accès aux médicaments : dépasser les contradictions entre politiques. Session Affiches financement des programmes de santé, 30 mars 2010, 5e conférence francophone VIH/sida, Casablanca, Maroc.

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