22 Janvier 2010
|Égyptiens et français, les chercheurs contribuent à la lutte de terrain contre l’hépatite C
Deux journées scientifiques sous les auspices de l’année franco-égyptienne de la science et de la technologie
Les 23 et 24 Janvier 2010, le site de recherche de l’ANRS en Egypte organise ses troisièmes journées scientifiques, au Caire. Objectif : faire le point sur l’avancée des recherches de ce réseau de spécialistes égyptiens et français du virus de l’hépatite C (VHC), et discuter des projets futurs. Ces journées aborderont notamment la contribution du site de recherche au programme national égyptien de lutte contre les hépatites virales. Elles sont placées sous les auspices de l’année de la France en Egypte qui démarre officiellement le 25 janvier.
Le site de l’ANRS en Egypte représente un bel exemple de résultats de recherche traduits en mesures concrètes de santé publique sur le terrain. La collaboration entre équipes égyptiennes et françaises a en effet abouti à l’intégration de recommandations importantes dans le programme national de lutte contre les hépatites virales[1] présenté en avril 2008. Sur les sept membres du comité national l’ayant rédigé, trois font partie du site ANRS. Inauguré le 2 juin 2007, le site de recherche a quatre missions principales : évaluer l’ampleur et l’impact de l’épidémie d’hépatite C en Égypte, identifier les facteurs de transmission pour une meilleure prévention, optimiser les stratégies thérapeutiques et comprendre les mécanismes de disparition spontanée du VHC observée chez certains malades. Il s’intègre dans un réseau international de sites de l’ANRS situés en Afrique (Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal), en Asie du Sud Est (Vietnam, Cambodge) et au Brésil. Le site égyptien regroupe 14 responsables d’équipes français et cinq égyptiens aux disciplines aussi variées que la virologie, l’immunologie, l’épidémiologie, l’anatomopathologie, l’expertise clinique, la génétique et l’économie de la santé. Ils appartiennent à l’Institut Pasteur de Paris, à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), aux hôpitaux (AP-HP : Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), à l’Université d’Ain Shams et à l’Institut national de recherche en hépatologie et médecine tropicale du Caire. Il est co-dirigé par le Pr Mostafa Kamal Mohamed, épidémiologiste à l’université cairote Ain Shams et par le Dr Arnaud Fontanet, Directeur de recherche à l’Institut Pasteur de Paris. Pour le Pr Jean-François Delfraissy, Directeur de l’ANRS, « le site égyptien est un exemple particulièrement réussi d’intégration de priorités nationales de santé dans un programme de recherche ».
● Déjà 60 000 patients traités dans 20 centres
Traduction la plus spectaculaire des résultats du site de recherche sur le terrain : la création de vingt centres nationaux de référence à travers le pays, où 60 000 personnes atteintes d’hépatite C chronique ont déjà été traitées par interféron pégylé et ribavirine depuis juin 2008 dans le cadre du programme national de lutte contre les hépatites virales. La généralisation de ce traitement découle en effet directement d’une étude du site ayant montré une efficacité de 61 % de cette combinaison thérapeutique sur cent malades égyptiens infectés par le génotype[2] 4 du VHC (étude ANRS 1211 sous la responsabilité de Arnaud Fontanet et Mostafa Kamal Mohamed)[3]. « Si l’efficacité de ce traitement de référence était connue sur les génotypes 1, 2 et 3, peu de données existaient sur le génotype 4, le plus répandu dans ce pays, indique le Dr Arnaud Fontanet. Nous souhaitons maintenant évaluer l’association de ce traitement avec l’antiparasitaire nitazoxanide dans le cadre d’un essai clinique. En effet, de récents travaux suggèrent que cette combinaison pourrait faire passer le taux de guérison à près de 75 % à un coût supportable pour un pays comme l’Égypte. »
● Contrôle des injections médicales
La contribution des chercheurs à la santé publique concerne également la prévention de l’infection. Leurs travaux ont en effet montré que les injections médicales, notamment par voie intraveineuse, constituent la première voie de transmission actuelle du VHC en Égypte[4]. Elles seraient en cause dans près de 50 % des nouvelles infections. Ces résultats ont fortement contribué à la recommandation d’un plan de contrôle des infections nosocomiales dans les structures de soins du pays. « Dans les quatre prochaines années, nous comptons mener une étude pour mieux déterminer les circonstances précises dans lesquelles se transmet le VHC, annonce le Pr Mostafa Kamal Mohamed. Ce travail en sciences sociales sera mené sur la base d’enquêtes auprès de la population et des praticiens. C’est l’une des recommandations de recherches du programme égyptien de lutte contre les hépatites virales. » Les scientifiques ont également identifié les injections intraveineuses de drogues comme un facteur de risque non négligeable dans la transmission du VHC au Caire[5]. Une découverte qui a abouti à recommander la mise en place d’un plan de surveillance de l’infection chez les toxicomanes.
● Mieux évaluer la fibrose du foie
Autre recommandation du programme national : tester des méthodes d’évaluation d’une des complications majeures de l’hépatite C, la fibrose du foie, moins invasives que la biopsie hépatique qui fait actuellement référence. Dans ce cadre, les chercheurs Philippe Bonnard (Hôpital Tenon, Paris) et Gamal Esmat (National Hepatology and Tropical Medicine Institute, Le Caire) (étude ANRS 12184) testent l’évaluation par une technique dite d’élastométrie auprès de 400 patients au Caire. Cette méthode mesure la vitesse de retour d’une onde envoyée vers le foie : la vitesse est directement corrélée à l’élasticité de l’organe, elle-même inversement proportionnelle au degré de fibrose. « Cette technique a été testée avec succès dans certains pays industrialisés, mais son efficacité doit être validée dans le contexte égyptien dont certaines caractéristiques, tel le surpoids de la population, peut biaiser les mesures », explique le Dr Fontanet. Parallèlement, les équipes de Mona Rafik (Faculté de médecine d’Ain Shams, Le Caire) et de Mathew Albert (Institut Pasteur de Paris) (étude ANRS 12216) évaluent de nouveaux marqueurs sériques, des molécules présentes dans le sang dont la concentration reflète l’état de fibrose du foie.
● Comprendre les causes de disparition spontanée du virus
Les scientifiques tentent également d’élucider les causes de disparition spontanée du VHC (la clairance) observée six mois après les premiers symptômes sur 41 % d’individus atteints d’hépatite C aiguë, dans le cadre d’une étude[6]. Pour y parvenir, ils recrutent ce type de malades au sein de deux hôpitaux publics du Caire (Fever Hospitals), où viennent consulter des personnes qui présentent des problèmes infectieux. « Nous y recrutons un cas par semaine », précise le Pr Mostafa Kamal Mohamed. Plasma et cellules sont prélevés chez ces patients, puis stockés en vue d’identifier les facteurs immunitaires et génétiques associés à la clairance. De telles études pourraient contribuer au développement de nouveaux médicaments et d’un éventuel vaccin, dont on ne dispose toujours pas, contre le VHC. Les malades qui ne parviennent pas à se débarrasser spontanément du VHC (environ 60% des patients) se voient proposer un traitement par interféron pégylé. L’étude effectuée par le site (étude ANRS 1213 conduite par Mostafa Kamal Mohamed et Arnaud Fontanet) a en effet montré une efficacité de ce traitement dans 88 % de ces cas.
● Traitements : trouver le meilleur rapport coût/efficacité
Suivant les recommandations du programme de lutte égyptien, les chercheurs développent aussi des modèles mathématiques qui cherchent à déterminer les stratégies présentant le meilleur rapport coût/efficacité pour traiter la forme chronique de la pathologie. Quel est le meilleur moment pour commencer à traiter ? Le traitement peut-il être interrompu quand il n’a pas de résultats ? Peut-il être stoppé plus tôt quand il a déjà rempli sa mission ?... Autant de questions auxquelles ces modèles tentent d’apporter des réponses. Ce projet, coordonné par le Pr Yazdan Yazdanpanah (hôpital Gustave Dron, Tourcoing) et Mostafa K Mohamed, contribuera également à estimer les coûts médicaux directs associés à chaque stade de l’infection.
● La transmission intrafamiliale à l’étude
Les équipes du site sont parmi les seules au monde à étudier la transmission intrafamiliale du VHC, une des priorités du volet « recherche » du programme de lutte national. Des travaux rendus possibles par l’examen des cas d’hépatite C chronique au sein de la population du village de Zwyat Razin, situé dans le Delta du Nil au nord-ouest du Caire (étude ANRS 12107 coordonnée par Mostafa Kamal Mohamed et Laurent Abel, Inserm unité 550). « L’analyse des souches virales indique que la transmission du virus d’une personne à une autre au sein d’une même famille représente 5 à 10 % des nouveaux cas, indique le Dr Arnaud Fontanet. Elle suggère une contamination entre enfants d’âges rapprochés, mais aussi des parents à leur progéniture, ainsi qu’une susceptibilité génétique à l’infection[7]. Toutefois, on ne connaît pas encore les circonstances de ce type de transmission ».
Près de 15 % de la population égyptienne contaminée par le VHC
En 2008, selon les recommandations du programme égyptien de lutte contre les hépatites virales, une prise de sang pour dépister les cas d’hépatite C a été intégrée à une grande enquête nationale menée auprès de 12 780 personnes de 15 à 59 ans (Enquête Démographique de Santé, Ministère de la Santé égyptien et Macro International). Résultats : 14,7 % des individus de l’échantillon étaient contaminés par le virus de l’hépatite C (VHC), soit 17,4 % des hommes et 12,2% des femmes. Un taux qui grimpe à environ 35 % chez les femmes de 55 à 59 ans, et à près de 50 % chez les hommes de 50 à 54 ans. Ces chiffres récents le confirment : l’Egypte reste le pays au monde le plus touché, avec une épidémie encore active et un pourcentage de la population infectée environ 10 fois supérieur à celui des pays industrialisés. Selon les estimations du site Egypte de l’ANRS, le nombre de décès liés au VHC devrait doubler entre 2000 et 2020 pour atteindre 20 000 morts par an en 2020. On attribue l’origine de l’épidémie à du matériel d’injection réutilisable insuffisamment stérilisé, utilisé des années 1960 au milieu des années 1980 lors des campagnes nationales de traitement de masse de la bilharziose (maladie parasitaire endémique).
Créée en 1992, l’ANRS est l’agence française de recherches sur le VIH/sida et les hépatites virales. Elle a pour objectif d’acquérir de nouvelles connaissances afin d’aider, au Nord comme au Sud, à améliorer la prévention de ces infections et la prise en charge des personnes atteintes. L’ANRS fédère des chercheurs appartenant aux organismes de recherche français (l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut Pasteur, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), les universités) et aux hôpitaux. Son budget lui est attribué par les ministères français en charge de la recherche, des affaires étrangères et de la santé. En 2008, il s’élevait à 44 millions d’euros.
[1] Egyptian National Control Strategy for Viral Hepatitis 2008-2012.
[2] « Carte d’identité » génétique du virus.
[3] H. Elmakhzangy et al., J Med Virol, 2009.
[4] A. Paez et al., PLoS One, 2009 – A. Mostafa et al., Liver Int, in press.
[5] A. Paez et al., PLoS One, 2009.
[6] Plancoulaine et al., Gut, 2008. - C. Laouénan, Human Genetics, 2009. – A. Mostafa et al., Liver Int, in press.
[7] Plancoulaine et al., Gut, 2008. - C. Laouénan, Human Genetics, 2009. – A. Mostafa et al., Liver Int, in press.