altTrois équipes du CNRS viennent de publier dans le même numéro de la revue Developmental Cell ! Les chercheurs se sont tous penchés sur la division cellulaire dans les tissus épithéliaux qui jouent un rôle de protection pour l'organisme. Ils ont en particulier étudié le processus tardif de cytodiérèse, qui permet la séparation finale des deux cellules filles issues de la division, et la formation d'une nouvelle interface d'adhésion entre ces deux cellules. Les trois études démontrent communément que la cytodiérèse et la formation de la nouvelle jonction adhérente sont des phénomènes coordonnés qui dépendent de l'interaction entre la cellule épithéliale qui se divise et les cellules du tissu qui l'entourent. Zoom sur les forces mises en jeu dans cette opération multicellulaire.

Les epithélia sont des tissus compacts composés de cellules juxtaposées et disposées en une ou plusieurs couches. Ces tissus qui revêtent les surfaces externes et les cavités de l'organisme ont de multiples fonctions, comme la sécrétion, l'absorption sélective, le transport transcellulaire ou la détection de la sensation. Mais leur rôle premier est de constituer une barrière mécanique et chimique entre le milieu intérieur et le milieu extérieur. Cette caractéristique est assurée par la cohésion des cellules épithéliales, qui sont fortement liées entre elles par des jonctions adhérentes localisées au niveau de leur domaine apical, c'est-à-dire tourné vers l'extérieur. Ces jonctions sont principalement composées d'E-cadhérine, une protéine transmembranaire qui s'organise en complexes à l'interface des cellules. Ces complexes sont stabilisés par un réseau d'actine et de myosine, formant ainsi la « ceinture d'adhésion » de l'épithélium.

Au cours du développement embryonnaire et tout au long de la vie adulte, les tissus épithéliaux sont amenés à croitre et à se régénérer par division cellulaire. La fin de ce processus est marquée par une étape de cytodiérèse, qui consiste à « couper » la cellule mère en deux pour séparer définitivement les cellules filles. Le clivage se fait grâce à l'assemblage et la contraction d'un anneau composé d'actine et de myosine, connecté à la membrane plasmique au niveau de l'équateur de la cellule en division. Mais si les cellules épithéliales sont si solidement attachées les unes aux autres, comment parviennent-elles à se diviser ? Comment l'adhésion est-elle préservée au sein du tissu pendant la division et comment une nouvelle jonction se forme-t-elle à l'interface des deux cellules filles issues de la cytodiérèse ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont travaillé sur des embryons de drosophile, qui permettent de suivre en temps réel et de façon non invasive les divisions cellulaires au sein d'un organisme vivant tout entier.

L'équipe de Yohanns Bellaiche au laboratoire Génétique et biologie du développement (CNRS/Institut Curie/Inserm) a montré que la constriction de la cellule en division entraîne la déformation des cellules voisines, qui finissent par « envahir » l'espace du sillon de division entre les deux cellules-filles. Suite à cette déformation, les cellules voisines accumulent de la myosine II pour induire le rapprochement des deux cellules filles et définir la géométrie initiale de la nouvelle jonction d'adhésion. Puis, lorsque les cellules filles ne sont plus connectées que par un fin pont cytoplasmique, la cellule qui poursuit sa division commence à accumuler de l'actine dans la zone du sillon de division, repoussant ainsi les cellules voisines de cet espace et stabilisant la nouvelle jonction. Ce mécanisme assure une coordination spatiale et temporelle entre la cytodiérèse et la formation des nouvelles jonctions. Il explique comment les tissus épithéliaux sont remodelés par les divisions, tout en gardant leur cohésion, ce qui est essentiel à leur fonction de barrière.

L'équipe de Roland Le Borgne à l'Institut de génétique et développement de Rennes (CNRS/Université de Rennes 1) a mis en évidence que le clivage de la cellule en division se fait de manière asymétrique et que l'anneau contractile est déplacé apicalement, là où se trouvent les jonctions cellulaires. La formation d'une nouvelle jonction entre les deux cellules filles nécessite le désengagement des complexes d'E-cadhérine établis entre la cellule mère et les cellules voisines au niveau du sillon de division, puis l'assemblage de nouveaux complexes sur la membrane qui sépare les deux cellules filles. De façon analogue au jeu du tir à la corde, plus la force d'adhésion avec les cellules voisines est élevée, plus la cinétique de désengagement des jonctions autour du sillon est ralentie. C'est ici que les septines rentrent en jeu. En régulant la contractilité de l'anneau d'actomyosine, ces protéines permettent à la cellule en division de contrer la tension extrinsèque induite par les cellules voisines. Dans les tissus où l'adhésion intercellulaire est forte, la présence des septines est particulièrement indispensable à la formation de nouvelles jonctions car en leur absence, le désengagement et la restauration des complexes d'adhésion ne se produit plus.

L'équipe de Thomas Lecuit à l'Institut de biologie du développement de Marseille Luminy (CNRS/Aix-Marseille Université) a démontré que la cellule en division reste accrochée au tissu et que le clivage se fait de façon polarisée : il est plus rapide en basal qu'en apical. Ce phénomène n'est pas dû à une contraction polarisée de l'anneau contractile, mais à l'ancrage de cet anneau aux complexes d'adhésion présents dans les jonctions cellulaires. A cet endroit, les complexes d'E-cadhérine couplent la force de contraction de l'anneau, contrôlée par les septines et l'aniline, avec la force de tension exercée par les cellules voisines dans le tissu. Ce couplage entre forces intrinsèques et extrinsèques à la cellule en division concourt directement au désengagement local des complexes d'adhésion lors de la formation de la nouvelle interface entre les deux cellules filles. L'adhésion est ensuite restaurée par l'assemblage de nouveaux complexes d'E-cadhérine au niveau de cette interface cellulaire.

Pris dans leur ensemble, ces trois études démontrent que la cytodiérèse des cellules épithéliales est coordonnée avec la formation des nouvelles jonctions d'adhésion entre les cellules filles naissantes. Ils présentent également la division dans les tissus épithéliaux comme un ballet multicellulaire orchestré par l'interaction entre la cellule en division et ses voisines. La balance de cette interaction est essentielle au maintien de l'intégrité et de la cohésion du tissu lors de la prolifération cellulaire. Ces résultats pourront servir de base à la compréhension de la division des cellules épithéliales dans un contexte pathologique. En effet, de nombreuses tumeurs se développent dans les epithélia et il pourrait être intéressant de savoir, d'une part si le jeu de forces qui existe entre la cellule en division et ses cellules voisines est affecté en cas de surprolifération cellulaire, et d'autre part si ce mécanisme peut être relié à l'échappement ou au détachement de certaines cellules lors de processus métastatiques.

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