14 Mars 2017
|Entretien avec…
Le Pr Marie Vidailhet, neurologue spécialiste des pathologies du mouvement et de la maladie de Parkinson à la Pitié-Salpêtrière et chef d’équipe à l’ICM.
La maladie de Parkinson touche environ 120 000 personnes en France avec 8000 nouveaux cas déclarés chaque année. Qu’en est-il des traitements de cette pathologie ? Quelles sont les difficultés ? Les espoirs ? Où en est la recherche ? Essayons de mieux comprendre comment les médecins et les patients appréhendent la maladie…
Quels sont les traitements actuels de la maladie ? Comment le patient est-il pris en charge ?
Dans la maladie de Parkinson, les neurones qui fabriquent de la dopamine disparaissent progressivement. Or la dopamine est indispensable au contrôle des mouvements et est également impliquée dans la motivation.
Les traitements actuels vont compenser cette perte de dopamine en réenclenchant le système dopaminergique, ce sont soit des agonistes dopaminergiques, soit de la L-Dopa. Souvent nous prescrivons une combinaison des deux traitements pour tirer les bénéfices des deux. En tant que médecin, notre rôle est d’affiner le traitement en fonction de chaque patient en jouant sur la posologie ou sur des produits qui prolongent l’effet de la L-Dopa par exemple.
Un autre médicament, la sélégiline peut être donné au tout début de la maladie et peut modifier légèrement l’évolution de la maladie. En revanche ce traitement ne va probablement pas être utile sur le long terme.
Un élément fondamental de la prise en charge du patient est la kinésithérapie, si nécessaire, et l’exercice physique dans tous les cas.
Quelle est la limite des traitements actuels ?
Les traitements actuels ont un effet bénéfique chez les patients. Cependant, certains symptômes vont résister aux traitements au cours de l’évolution de la maladie. Par exemple les symptômes non moteurs comme les troubles digestifs, les symptômes psychiques, les troubles cognitifs et du comportement ou encore les troubles de la marche et de l’équilibre.
Pouvez-vous nous citer quelques essais cliniques en cours ?
Une étude, encore préliminaire, vise une protéine, l’alpha-synucléine qui s’accumule et forme agrégats toxiques pour les neurones. Grâce à l’immunothérapie passive, c’est à dire l’injection d’anticorps qui ciblent spécifiquement ces agrégats toxiques, l’objectif est de provoquer l’élimination de la forme toxique de l’alpha-synucléine. Les premières études sont en cours pour s‘assurer de la sécurité du traitement.
On peut également citer un essai qui cherche à agir sur l’accumulation excessive de fer dans la substance noire, la zone qui contient les neurones dopaminergiques atteints dans la maladie de Parkinson. Cette étude sur la desferiprone, chélateur du fer, a commencé en France, dans le cadre du réseau NS-PARK, réseau de tous les centres français traitant la maladie de Parkinson, puis qui s’est étendue à l’Europe.
D’autres essais en cours ont pour objectif de protéger les neurones tout au long de la maladie, on parle de neuro-protection.
Quels sont les projets de recherche actuels de votre équipe à l’ICM ?
Nous cherchons à comprendre ce qui se passe avant l’apparition des symptômes moteurs puis tout au long de la maladie grâce à l’observation des patients. Notre étude, nommée ICEBERG est menée chez plus de 300 patients. Elle a pour objectif d’identifier des marqueurs permettant de prédire et de suivre la progression de la maladie, de l’apparition des premiers symptômes jusqu’à la phase d’expression clinique. Il s’agit d’une observation en profondeur, avec des techniques qui ont très rarement été utilisées de manière combinée chez le même sujet : pour chaque sujet, nous disposons, en plus des données cliniques très détaillées, d’une imagerie de très haute-définition au CENIR, centre d’imagerie IRM sous la responsabilité du Pr Lehéricy, de données génétiques et de prélèvements biologiques (dosage de protéines et autres petites molécules) pouvant donner une signature de la maladie sous la responsabilité du Dr Fanny Mochel.
L’étude du sommeil très importante et pourtant encore sous-estimée dans la maladie et le Pr Isabelle Arnulf dans notre équipe est une experte de ce domaine. Enfin, l’étude des mouvements oculaires par les Dr Sophie Rivaud-Péchoux et Pierre Pouget, représente un test «simple» mais dont on peut extraire des informations extrêmement précieuses pour prédire les chutes.
Nous avons montré récemment qu’un trouble du sommeil, particulier (le trouble du comportement en sommeil paradoxal, où les patients vont avoir des rêves très agités et beaucoup bouger pendant leurs rêves), peut être un signe avant-coureur de la maladie. Ces personnes peuvent à un moment de leur vie, développer la maladie de Parkinson ou une maladie apparentée. Nous suivons ces sujets pour évaluer leur évolution et les prendre en charge au plus tôt.
Au sein de la Pitié-Salpêtrière et du Centre d’Investigation Clinique, CIC, de l’ICM, les patients peuvent participer activement à la recherche, de quelle façon ?
L’implication des patients est primordiale et nous les incitons à se porter volontaires pour participer à la recherche dès le début de la maladie.
Un patient peut participer activement à la recherche dès la consultation de novo que nous avons mise en place à la Pitié-Salpêtrière. A un stade plus tardif de la maladie, il peut se proposer comme candidat à la recherche, pour différentes études de nouveaux médicaments sous la responsabilité du Pr Corvol au CIC. Il est très important de préciser que si des patients ne peuvent pas être inclus dans tel ou tel protocole de recherche, ce n’est pas parce que nous ne voulons pas d’eux ! Au contraire, nous essayons d’offrir les conditions de sécurité optimales et la meilleure adéquation entre le profil du patient et le type de recherche dans lequel il peut s’engager. L’objectif est bien sûr d’accroitre la connaissance, mais aussi d’être au plus près des besoins des patients.
Afin d’évaluer l’efficacité d’un médicament de façon optimale, il est nécessaire de définir un groupe homogène de patients, qui ont les meilleures chances de tirer bénéfice de ce traitement s’il est efficace. Si on mélange des sujets atteints de maladie très grave et d’autres de maladie très légère, il est impossible de bien juger de l’effet du traitement, il peut ne pas être assez puissant pour une forme très grave et l’effet obtenu chez les patients atteints de forme légère peut être masqué. Ainsi le résultat peut devenir difficile à interpréter, ce qui est une perte de temps, de moyens et d’énergie.
Quel sont les espoirs pour l’avenir ?
La maladie va évoluer différemment selon les patients, et la réponse aux traitements sera différente en fonction des patients. C’est pour cela qu’il est indispensable de comprendre précisément l’évolution de la maladie pour chacun, non seulement la partie visible, ce que le patient exprime, mais également la partie invisible, c’est-à-dire au niveau cellulaire, au niveau des circuits neuronaux et des mécanismes de compensation.
Lorsqu’on arrive à ce degré de compréhension, on peut alors s’attaquer plus directement à chacun des troubles et à chacun des profils évolutifs, c’est ce qu’on appelle la médecine personnalisée. Nous pouvons également adapter la prise en charge des patients, par des approches ciblées sur les mécanismes de la maladie, en utilisant plus finement nos moyens thérapeutiques, c’est ce que l’on appelle la médecine de précision. Le futur est une médecine adaptée au profil de chaque patient.
A propos de Marie Vidailhet :
Marie Vidailhet est professeure de neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chef de l’équipe « Mouvements anormaux et ganglions de la base : physiopathologie et thérapeutique expérimentale » à l’ICM.
L’équipe de Marie Vidailhet et de Stéphane Lehéricy (également Directeur du CENIR, Centre de neuro-imagerie de recherche à l’ICM) a pour objectif d’étudier les réseaux corticaux et sous-corticaux mis en jeu dans le contrôle moteur et dans l’apprentissage normaux et pathologiques. Le contrôle moteur est exploré dans des conditions physiologiques chez des volontaires sains et chez des modèles expérimentaux et dans des conditions pathologiques chez des sujets sains après lésion virtuelle de différentes zones du cerveau ou chez des patients souffrant de troubles moteurs tels que la dystonie, le syndrome des mouvements en miroir ou la maladie de Parkinson. Le deuxième objectif de l’équipe est d’identifier des cibles potentielles pour développer des stratégies non invasives et adaptables.