07 Mars 2017
|Tout le monde rêve… Le Pr Isabelle Arnulf, chef de service du département des pathologies du sommeil à la Pitié-Salpétrière l’a démontré….
Mais à quoi servent les rêves et les cauchemars ? Que nous apprennent-ils sur le cerveau ? Et peut-on les contrôler ?
Quelles sont les fonctions du rêve ?
Je pense qu’il est impossible de dissocier les fonctions du rêve des fonctions du sommeil. Contrairement aux idées reçues, nous rêvons tout le temps, même si on ne s’en souvient pas ! Notre pensée et nos images mentales ne s’arrêtent jamais, le sommeil n’est pas un coma. Le rêve est une activité cognitive produite par le cerveau endormi. Les comprendre permettrait de comprendre une partie du travail qui se fait dans nos têtes pendant le sommeil.
Deux tiers des rêves sont négatifs, une hypothèse est qu’ils nous permettraient de digérer nos émotions négatives.
Comment les rêves nous permettent-ils de digérer nos émotions négatives ?
Au cours du sommeil, il y a un dialogue entre trois zones du cerveau, la région de la mémoire, l’hippocampe, la région des émotions, l’amygdale et le cortex préfrontal médian. Des chercheurs ont mené une expérience intéressante chez des sujets sains. Ils leur ont demandé de regarder des images horribles avant de dormir et ont observé que ces images entrainent l’activation de la région des émotions. Le lendemain matin, les mêmes images leur sont présentées mais, cette fois, elles ne provoquent plus l’activation de l’amygdale. Si la même expérience est réalisée à 8h et à 18h, c’est à dire sans temps de sommeil entre les deux, les régions liées aux émotions s’activent de la même façon.
Les émotions seraient donc «digérées» pendant la nuit. L’hypothèse est que nous refaisons les expériences négatives pendant la nuit pour les dégrader. Nous coupons en petits morceaux des ressentis émotionnels et des souvenirs et nous associons des choses qui n’ont rien à voir entre elles pour les assimiler. Par exemple, au lieu d’un monstre qui me fait très peur, je vais rêver de ma sœur qui me fait un petit peu peur… Tant que la boucle fonctionne, la désensibilisation à l’émotion se fait. Mais si l’émotion est trop forte, elle vous réveille et c’est à ce moment-là qu’on parle de cauchemar.
Le mauvais rêve aurait donc des bénéfices et le cauchemar est un échec de ce processus, l’émotion est tellement forte qu’elle réveille la personne et elle ne peut pas être digérée et tant qu’elle n’est pas digérée le cauchemar revient.
Les cauchemars récurrents, quelles solutions ?
Il existe des techniques cognitives très simples pour faire disparaître les cauchemars récurrents. Pour cela, la personne reprend le scénario du cauchemar, imagine une autre fin au moment où le cauchemar dégénère, la visualise et la répète deux fois par jour pendant dix minutes. Au bout de quelques jours, le cauchemar a disparu. Comme si on apprenait au cerveau de ne plus être en «bug», à prendre un autre chemin, grâce à cette propriété qu’à le cerveau de répéter ce qu’il vient d’apprendre. Cette technique de répétition d’images mentales fonctionne en 4 séances.
Que peut-on apprendre des rêveurs lucides ?
Les rêveurs lucides peuvent diriger leurs rêves et nous en informer par un code oculaire, car la seule chose qui peut bouger en sommeil paradoxal, dernière phase du sommeil au cours de laquelle se produisent les rêves dont on se souvient, ce sont les yeux.
Nous cherchons à élucider l’apprentissage moteur, quand nous apprenons une séquence au piano, au début nous sommes obligés d’y penser pour la réaliser puis au bout d’un certain temps, nous la réalisons de façon automatique, sans y penser, nous automatisons la tâche. Si cette séquence est répétée avant de dormir, le lendemain matin elle est déjà beaucoup plus automatisé que la veille. Quand vous rêvez que vous jouez du piano, la région du cerveau qui bouge les mains est activée et s’allume sur l’IRM. Pendant le sommeil, un certain nombre de circuits se mettent en place pour faire passer les informations d’une zone consciente à une zone automatique.
Nous avons des patients qui sont des rêveurs lucides professionnels. Ils vont nous aider à comprendre comment le cerveau automatise une séquence gestuelle en la reproduisant pendant le sommeil.
Comme ces personnes sont capables de refaire la séquence en rêve, nous pouvons visualiser ce qui se passe dans un cerveau en train d’apprendre une nouvelle chose, et donc nous allons visualiser ce qui se passe dans le cerveau quand une tâche apprise devient automatique. Nous allons suivre dans le cerveau, le mouvement des doigts et les régions activées puis à quel moment cette activité quitte le cortex pour être stockée dans une zone qui gère les actions automatisées. En effet tous les apprentissages moteurs se font pendant le sommeil. Ces rêveurs vont nous permettre de décrypter les mécanismes mis en place par le cerveau.
A propos du Professeur Isabelle Arnulf :
Isabelle Arnulf, chef de service des pathologies du sommeil à la Pitié Salpêtrière à Paris, et chercheuse à l’ICM dans l’équipe de Marie Vidailhet et de Stéphane Lehéricy qui a pour objectif d’étudier les réseaux corticaux et sous-corticaux mis en jeu dans le contrôle moteur et dans l’apprentissage normaux et pathologiques chez des patients sains et d’autres souffrant de troubles moteurs tels que la dystonie, le syndrome des mouvements en miroir et la maladie de Parkinson. Elle a fait des troubles comportementaux pendant le sommeil (somnambulisme, terreurs nocturnes et gestes violents en sommeil paradoxal) son cheval de bataille.