altMadame la Présidente / Monsieur le Président, Madame la Présidente de la Commission des Affaires sociales, Monsieur le rapporteur, Mesdames et messieurs les député-e-s,

Débattre de l’accès aux soins, c’est d’abord poursuivre l’intérêt général. C’est envisager l’avenir de nos territoires, la pérennité de notre protection sociale, la cohésion de notre société, aussi. Garantir l’accès aux soins de tous, en faisant tomber les barrières financières et géographiques, c’est la très grande ambition de notre République sociale. Elle implique des exigences fortes. Au premier rang d’entre elles, celle de la lucidité.

Etre lucide, c’est regarder la réalité en face, sans détourner le regard, sans rien mettre sous le tapis. Il y a, chez nombre de Français, des inquiétudes légitimes : voir son médecin de famille vieillir sans savoir s’il aura un successeur, trouver un médecin traitant lorsque l’on change de résidence, obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. Ces inquiétudes ne datent pas d’hier, elles sont le fruit d’années durant lesquelles les pouvoirs publics avaient tout simplement cessé d’inventer. Elles sont aussi la conséquence d’un creux démographique lié aux départs en retraite de la génération du baby boom, qui dépasse très largement les seuls médecins.

Mais être lucide, c’est aussi reconnaître l’espoir formidable que constitue la jeune génération. Elle montre, contrairement aux fatalistes, que la médecine générale n’est pas condamnée à la disparition. L’an dernier, à l’issue de l’examen classant national (ECN), le premier étudiant à choisir la médecine générale était classé 24ème sur 8 124, c’est historique. Cette jeune génération, elle fait aussi mentir les clichés, les stéréotypes, qui voudraient que les médecins n’aient d’yeux que pour les grandes villes ou la côte d’azur. Les trois quarts des internes en médecine générale déclarent vouloir s’installer en milieu rural ou semi-rural. Les médecins ne sont pas le problème, ils sont la solution. Cette jeune génération en est la plus belle illustration.

A l’exigence de lucidité que j’évoquais tout à l’heure, s’en ajoute une autre : celle de l’efficacité. Et je veux le dire d’emblée : s’agissant du sujet qui nous rassemble ce matin, il n’y a pas de mauvaise volonté. Nous sommes, toutes et tous, élus de la République. Pour certains d’entre nous, dans des territoires ruraux ou semi-ruraux directement concernés. Nous savons l’enjeu trop important pour souffrir d’une quelconque caricature, et vous ne m’entendrez jamais rejeter par principe une quelconque proposition. Il y a toujours plusieurs chemins possibles. Notre responsabilité, c’est de définir le plus efficace d’entre eux.

Ce Gouvernement poursuit une ambition claire, assumée : inciter les jeunes médecins à s’installer dans les territoires sous-dotés.

Plus qu’un choix, il s’agit avant tout d’une conviction : en matière de présence médicale sur le territoire, non, on n’avait pas tout essayé.

La grande erreur, commise par les Gouvernements précédents, est de ne pas avoir vu l’évolution des attentes des médecins à mesure que la société française se transformait. La médecine, comme toutes les professions, s’est féminisée. Les femmes médecins attendaient les mêmes protections sociales, les mêmes garanties, que toutes les autres femmes. La médecine elle-même s’est transformée. Le modèle du médecin exerçant seul, isolé dans son cabinet, 24h/24 et 7 jours sur 7, a vécu. Il y a aujourd’hui un immense besoin de partage, de synergies, pour mieux accompagner les patients atteints de maladies chroniques et mieux répondre aux attentes des malades.

L’ambition du Pacte Territoire Santé, que j’ai présenté dès 2012, c’est de prendre cette réalité à bras le corps et d’y répondre, avec une méthode : l’innovation.

Avec ce pacte, nous avons dessiné un cadre pour encourager l’installation des jeunes médecins dans les territoires sous-dotés. Et les premiers résultats sont déjà visibles.

Pour leur permettre de travailler en équipe, nous avons favorisé le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles. Ces structures sont désormais soutenues financièrement – 50 000€ par an en moyenne – et maillent peu à peu le territoire. Il y en avait 150 à peine en 2012, il y en aura 1 200 fin 2017.

1 800 étudiants en médecine se sont engagés dans un Contrat d’engagement de service public (CESP) : ce sont donc concrètement 1 800 jeunes médecins qui s’installeront prochainement dans des territoires sous-dotés. 650 jeunes médecins ont déjà signé un contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG), et bénéficient donc de nouvelles garanties en contrepartie de leur installation dans ces territoires. Le numérus clausus a été relevé dans plusieurs régions ciblées.

Pour encourager les jeunes médecins à s’installer, il fallait aussi revoir en profondeur leur formation pour la rendre mieux adaptée, plus professionnalisante. Nous avons donc augmenté le nombre de maîtres de stage universitaires parmi les professionnels de santé de terrain.

Et puis, il fallait faire connaître l’ensemble de ces dispositifs, proposer aux étudiants et jeunes médecins un interlocuteur unique. Les référents à l’installation, présents dans chaque région, ce sont un numéro de téléphone et un nom pour répondre à leurs questions et les accompagner dans leurs démarches.

Depuis 2012, nous portons une politique forte, volontariste, et surtout innovante. Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’elle a d’ores et déjà réglé l’ensemble des situations de tensions ou levé toutes les inquiétudes. Il s’agit simplement de mesurer qu’elle commence à porter ses fruits et que la donne est en train de changer. J’aurai très prochainement l’occasion d’en présenter un bilan complet et territorialisé.

Faut-il pour autant exclure de nouvelles mesures ? La réponse est non. Celles que vous proposées dans ce texte sont-elles adaptées ? La réponse est également non.

J’en viens ainsi au texte que nous étudions aujourd’hui, qui propose une direction radicalement opposée à celle que je viens d’évoquer : celle de la coercition à l’installation.

Je l’ai dit tout à l’heure, il n’y a pas de tabou, pas de débat interdit. Les propositions ne doivent être examinées qu’à l’aune de leur efficacité. Et c’est bien l’inefficacité des mesures prévues par ce texte qui me conduit à demander son rejet. Est-ce que les mesures coercitives que vous proposez – notamment le conventionnement sélectif et l’exercice obligatoire de 3 ans en zone sous-dense – sont efficaces ? Je constate qu’aucun de vos candidats à l’élection présidentielle ne les portent. Il s’agit d’un changement majeur de système. Je trouve légitime que des responsables politiques soutiennent cette voie. Mais les étudiants et futurs étudiants, les médecins, doivent savoir : ces mesures sont-elles portées dans la présentielle ? Voter pour le candidat de la droite et du centre que vous soutenez, est-ce soutenir ces mesures ?

Ces questions sont parfaitement légitimes, d’autant plus que les mesures que vous proposez ne sont pas satisfaisantes.

Je reviens d’abord sur la question du conventionnement sélectif à l’installation, sujet sur lequel j’ai encore eu l’occasion de m’exprimer dans un récent débat. Je suis opposée à cette mesure parce que nous en connaissons la conséquence inéluctable : celle d’une médecine à deux vitesses. Un médecin détermine d’abord son installation par rapport aux besoins, à la patientèle. Refuser de conventionner un médecin qui s’installe dans une zone jugée sur-dense, c’est risquer de le pousser à choisir la voie du déconventionnement. Concrètement, cela veut dire que les patients qui se rendront chez ce médecin ne seront plus remboursés par la sécurité sociale. C’est donc, à terme, la création d’une médecine privatisée, non-remboursée, concentrée dans les centre- villes. Nous ne pouvons engager la France dans cette funeste perspective. Vous rappelez que certains professionnels de santé ont décidé de ne pas autoriser le conventionnement pour les installations en zones sur-dotées. Je veux rappeler que ces mesures ont systématiquement été instaurées à la demande des professionnels eux-mêmes pour maintenir une activité suffisante pour les praticiens exerçant déjà dans ces territoires.

Vous proposez ensuite que les médecins souhaitant exercer une activité libérale soient tenus de s’installer pendant 3 ans dans un territoire déficitaire. Cette mesure ne règle rien au problème d’aujourd’hui. Vous-mêmes, proposez une mise en œuvre pour 2020. Paradoxalement cette mesure s’avère donc contraire à l’objectif que vous affirmez poursuivre.

C’est un changement des règles du jeu en cours de match pour les étudiants en médecine. Ils s’organiseront pour échapper à une telle contrainte. Je veux rappeler que 25% d’entre eux ne s’inscrivent pas à l’ordre à l’issue de leurs études. Après l’adoption de cette mesure, les étudiants seraient nombreux à décider de ne pas exercer, à opter pour des spécialités à exercice hospitalier, voire à partir à l’étranger. Ils pourraient également choisir l’exercice salarié. Vous qui n’avez cessé de me donner des leçons et de vous arroger la défense de la médecine libérale ne pouvez pas accepter une telle perspective !

En bref, les étudiants feront des choix qui les protègent . Au moment de l’entrée en vigueur de votre mesure, en 2020, la médecine générale, qui est pourtant aujourd’hui réhabilitée, à nouveau attractive, aura été réduite à peau de chagrin. Je veux donc dire à celles et ceux dans les rangs de la majorité dont je sais qu’ils sont sensibles à cette préoccupation, qu’elle n’est pas le voie à emprunter, car elle aurait pour conséquence inéluctable la fuite massive de nos professionnels de santé.

Est-ce à dire qu’il ne faut plus rien faire et se reposer sur les mesures déjà engagées ? Evidemment non. Défendre efficacement un égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire, c’est refuser les zig-zag, les changements de pied, les mesures- spectacle, c’est innover en maintenant un cap. C’est tout faire pour donner de la confiance et de la stabilité à nos professionnels de santé. C’est dans cette voie que nous entendons poursuivre notre action.

La politique que nous avons engagée doit être poursuivie et amplifiée. Le Parlement doit être pleinement associé à cette action.

C’est en ce sens que j’ai proposé à votre Assemblée un amendement au PLFSS pour 2017, visant à constituer des équipes de médecins libéraux remplaçants auprès des ARS. Ces équipes viendront soutenir les médecins libéraux installés en zone sous- dense. Il s’agit d’une attente forte, exprimée par les jeunes professionnels eux-mêmes. Avec la nouvelle convention médicale, nous renforçons le soutien à l’installation des médecins libéraux qui s’installent dans des territoires sous-dotés, qui maîtrisent leurs tarifs et participent à la permanence des soins ambulatoires (PDSA).

Par ailleurs, je viens d’adresser aux Directeurs généraux des ARS et à l’Ordre des médecins une circulaire d’interprétation qui leur permettra d’autoriser des médecins non thésés de venir en appui de médecins installés dans des zones sous denses. Il s’agit très concrètement de développer un statut d’adjoint du médecin, en autorisant l’activité d’un étudiant remplaçant en même temps que le médecin qu’il remplace. Enfin, je vais proposer des dispositions – nécessairement législatives – qui permettront de traiter la situation des médecins qui n’ont pas soutenu leur thèse dans les temps et souhaitent exercer la médecine.

Poursuivre et amplifier notre action, c’est aussi mieux prendre en compte les choix géographiques d’installation. De nouvelles règles de zonage vont se mettre en place. Ils doivent permettre, non seulement de répondre à la situation des zones aujourd’hui sous-dotées, mais aussi de mieux anticiper celles qui peuvent le devenir.

Dans cette même logique de meilleure prise en compte des besoins au plus près des territoires, j’ai fait le choix de mieux adapter le numerus clausus. L’année dernière, en échangeant directement avec les acteurs locaux, j’ai été amenée à le relever dans plusieurs régions. Cette mesure a été reprise comme la première mesure de la Grande conférence de Santé par l’ensemble des acteurs. En la généralisant aujourd’hui, je vous annonce que le numérus clausus sera augmenté de 478 places supplémentaires dans 22 facultés, soit une augmentation de 11%.

Mesdames et messieurs les député-e-s,

La démographie médicale est un sujet complexe, exigeant. Il doit nous appeler à refuser le mirage du court-termisme et à réformer en profondeur. En change innovant dans nos pratiques, en modernisant le cadre de la médecine de ville, nous offrons des perspectives de long terme à notre système de santé. Voilà la seule ambition de la politique conduite depuis 2012. Parallèlement au bilan que je présenterai dans les prochaines semaines, une mission parlementaire permettra de faire un point, et le cas échéant d’aller plus loin.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne soutient pas la proposition de loi qui est examinée aujourd’hui. Je vous remercie.


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