14 Décembre 2015
|Les travaux d’une collaboration internationale, mobilisant le CEA, le CNRS, l’Université Joseph Fourier, l’European Molecular Biology Laboratory et l’Institut Laue-Langevin, ont mis au jour le fonctionnement d’une protéine nécessaire au virus H5N1 pour se multiplier. Constituant un sous-domaine de la polymérase, molécule virale qui pénètre le noyau des cellules infectées pour la multiplication du virus, cette protéine adopte différentes conformations selon son environnement, adaptant la fonctionnalité de la polymérase. Cette étude, publiée dans le Journal of the American Chemical Society et mise en Une le 9 décembre, montre comment la flexibilité d’une protéine permet d’adapter sa fonction et de faciliter l’infection de l’hôte.
Les polymérases sont les molécules que les virus emploient pour multiplier leur matériel génétique dans les cellules qu’ils infectent et produire ainsi de nouveaux virus. Il a été montré que l’adaptation du virus de la grippe a lieu à travers quelques mutations de la polymérase virale, notamment dans le domaine C-terminal de la protéine PB2, domaine appelé « 627-NLS ».
Les auteurs de la présente étude ont démontré que 627-NLS est capable d’adopter deux conformations très différentes, ajustables en fonction des besoins du virus. Selon la température1, cette protéine adopte une conformation « fermée », permettant à la polymérase de fonctionner et aux protéines virales d’être synthétisées, ou une conformation « ouverte », observée ici pour la première fois, lui conférant la capacité d’interagir avec d’autres protéines et de parvenir ainsi à pénétrer dans le noyau des cellules infectées. Le basculement d’une conformation à l’autre, qui se fait relativement lentement2, permet ainsi à la polymérase virale d’atteindre le noyau et de « court-circuiter » la machinerie cellulaire pour fabriquer des virus.
Résumé des travaux de l’équipe, ayant mis au jour les changements de structure du sous-domaine (vert et rouge) de la polymérase du virus H5N1. Celle-ci se « ferme » (en haut à gauche) ou s’ouvre en fonction de la température. La forme « ouverte » permet l’interaction avec une protéine transporteur (jaune). Ce mécanisme permet à la polymérase virale d’entrer dans le noyau d’une cellule infectée et ainsi de multiplier le virus. Ces résultats ont été obtenus en combinant différentes approches : RMN (spectre à gauche et spectre en haut à droite de l’image) ; fluorescence (en bas à gauche) ; et rayons X (en bas). © Martin Blackledge et al.
Les scientifiques de l’Institut de biologie structurale (IBS) et du laboratoire international Biologie structurale des interactions entre virus et cellule-hôte (UVHCI)3 ont combiné trois approches pour étudier 627-NLS. La résonance magnétique nucléaire (RMN), la fluorescence (résonance de Förster) et la diffusion aux petits angles (small angle scattering, SAXS et SANS) ont révélé la présence de grandes réorganisations structurales de la protéine. Elles ont pu être constatées car l’équipe a étudié la protéine en milieu liquide, dans des conditions plus proches de celles de la cellule, par comparaison avec la cristallographie, technique employée jusque-là et qui ne permettait d’observer que la configuration « fermée » de la protéine. De ce fait, les chercheurs ne comprenaient pas comment elle pouvait, in vivo, pénétrer dans le noyau des cellules Cette étude souligne l’efficacité avec laquelle les virus exploitent la flexibilité conformationnelle de leurs protéines pour étendre leur diversité fonctionnelle. Possédant un matériel génétique généralement limité, ils ne peuvent synthétiser qu’un nombre réduit de protéines, qui doivent alors remplir plusieurs fonctions. Ces résultats sont encore très éloignés d’une exploitation dans un but médical. Pour autant, ils permettent de mieux comprendre le fonctionnement du virus H5N1, et pourront aider à mieux comprendre les bases moléculaires de l'adaptation entre espèces de ce virus hautement pathogène.
Plus généralement, cette recherche montre que des modes de dynamiques complexes ne peuvent être compris à partir de structures statiques et elle met en exergue l’importance des études de biologie structurale avec des protéines en solution pour décrire précisément la relation entre la structure, la dynamique, la thermodynamique et la fonction biologique.
1 à 5°C : près de 80% des protéines présentes sont fermées environ, contre 50 % à 25 °C
2 100 fois par seconde, ce qui est lent en termes de dynamiques moléculaires.