Nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé. Intervention de Marisol Touraine
25 Novembre 2015
|Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la commission des Affaires sociales,
Mesdames et Messieurs les rapporteur-e-s,
Mesdames et messieurs les député-e-s,
I- Nous entamons aujourd’hui l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Mes pensées sont évidemment tournées vers les victimes de la tragédie terroriste du 13 novembre et vers leurs familles. Vers ces jeunes au destin brisé. Vers les blessés qui luttent toujours pour leur vie. Ils étaient encore 161 hospitalisés hier soir, dont 26 en réanimation. Vers celles et ceux qui ont eu la chance d’avoir la vie sauve mais qui seront, à jamais, marqués par la violence qui s’est abattue sur eux.
Mes pensées, mon soutien, je les adresse aussi aux personnels hospitaliers du SAMU, de l’AP-HP, des hôpitaux des armées et des établissements de santé de la petite couronne parisienne. Je tiens à saluer une nouvelle fois leur engagement, leur mobilisation et leur très grand professionnalisme. Ils ont été à proprement parler « héroïques », en délivrant une médecine d’excellence dans des circonstances exceptionnellement difficiles.
Je pense aussi à ceux, très nombreux, qui sont venus spontanément dans les hôpitaux pour proposer leur aide, les agents hospitaliers en repos, les anciens étudiants des services concernés, mais aussi des établissements privés et des médecins libéraux. Sans oublier les Français qui, par centaines, sont venus donner leur sang.
Notre pays est en deuil et nous avons, toutes et tous, le coeur et l’esprit empli des visages de ces femmes et ces hommes qui nous ont lâchement été enlevés. Le Président de la République a réuni le Congrès à Versailles la semaine dernière, et votre assemblée a examiné le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence. Nous avons fait le choix de décaler d’une semaine l’examen de ce texte sur la santé, qui devait initialement intervenir le lundi 16 novembre.
Combattre ceux qui en veulent à notre démocratie, à nos institutions, c’est aussi répondre par la force renouvelée de notre démocratie et de nos institutions, en reprenant le cours du débat parlementaire. Et je souhaite que ce débat soit l’occasion à nouveau d’exprimer notre confiance collective à l’égard de nos professionnels de santé.
Je saluais tout à l’heure l’excellence du service public hospitalier face aux évènements du 13 novembre. Il a montré le meilleur de lui-même. C’est une fierté pour nous tous. Cela montre combien il est décisif d’oeuvrer à sa pleine reconnaissance. C’est ce que nous faisons dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, sans ostracisme, sans idéologie, mais avec la volonté déterminée de restaurer et de soutenir ce pilier de notre système de santé.
Soutenir notre système de santé, le moderniser, c’est ce qu’attendent les Français et c’est ce à quoi s’attache ce texte. C’est un texte pour l’égalité, un texte pour améliorer l’accès de tous à des soins de qualité. C’est un texte contre l’immobilisme et la résignation. Car rester immobile reviendrait à condamner notre modèle social à la disparition et notre promesse républicaine à l’érosion. C’est un texte qui vise à offrir à chacun les mêmes droits, les mêmes chances, pour vivre le plus longtemps possible en bonne santé. C’est un texte qui s’inscrit dans la cohérence de l’action menée pour lutter contre les inégalités de santé.
Ces inégalités, je les ai combattues en facilitant l’accès aux soins pour celles et ceux qui connaissent des difficultés financières et renoncent trop souvent à consulter. Les résultats sont là : après plus de dix ans de hausse, ce qui reste à la charge des Français diminue régulièrement depuis 2012.
Ces inégalités je les ai également combattues dans nos territoires. C’est le sens du Pacte Territoire Santé lancé dès 2012. Ces mesures seront amplifiées et prolongées, dans l’esprit de ce projet de loi, en partant du terrain.
II- Une dynamique est lancée. Sur le terrain, la donne est en train de changer. Cela nous oblige à accélérer la modernisation de notre système de santé.
Avec ce texte, nous innovons. Innover pour mieux prévenir, innover pour mieux soigner en proximité, innover pour renforcer les droits des patients.
Je ne vais pas revenir dans le détail sur les mesures de ce texte. Vous les connaissez et les avez déjà toutes examinées en première lecture. Je n’introduirai aucune mesure nouvelle à la faveur de cette discussion. Mais je tiens à en rappeler le sens, la ligne directrice.
D’abord, ce projet de loi fait de la prévention le socle de notre système de santé. Nous proposons des mesures concrètes pour la prévention dès le plus jeune âge. Parcours éducatif en santé de la maternelle au lycée, interdiction de fumer en voiture en présence d’un mineur, généralisation du paquet de cigarettes neutre, création d’un délit d’incitation à la consommation excessive d’alcool, meilleur dépistage des infections sexuellement transmissibles, mise en place d’un étiquetage nutritionnel clair et lisible des aliments. Ce sont autant de mesures pour permettre à notre jeunesse de protéger sa santé.
Cette politique de prévention est innovante, cohérente. Elle touche tous les publics. Je pense à l’ouverture des salles de consommation à moindre risque pour accompagner les toxicomanes les plus marginalisés vers le sevrage et protéger les riverains, ou encore à l’amélioration des dépistages et au renforcement de la prévention des risques, y compris en prison.
Le deuxième volet du projet de loi, c’est le développement d’une médecine de proximité autour du médecin traitant. Nous nous attaquons ici à toute les barrières, qu’elles soient financières ou géographiques, qui freinent ou empêchent l’accès aux soins. Nous facilitons concrètement l’accès aux soins avec la généralisation du tiers payant, soutenue massivement par nos concitoyens, comme l’a encore montré un récent sondage. C’est aussi le cas de la lettre de liaison transmise par l’hôpital au médecin traitant, ou encore du numéro d’appel national unique pour joindre un médecin de garde.
Avec ces mesures, nous passons d’une organisation hospitalo-centrée à un système qui fait du médecin généraliste le centre de gravité de la prise en charge du patient. Nous engageons concrètement le virage ambulatoire, conforté financièrement depuis 3 ans dans les lois de financement de la sécurité sociale.
Enfin, le troisième volet de ce projet de loi renforce les droits des patients et innove en en créant de nouveaux. Renforcement du rôle des associations d’usagers grâce à leur présence dans toutes les agences sanitaires nationales, création de l’action de groupe en santé, droit à l’oubli pour les anciens malades du cancer. Le droit à l’oubli restera une avancée majeure. C’est une perspective d’espoir pour les anciens malades. C’est pour cela que j’ai décidé de donner un avis favorable à l’amendement de la rapporteure qui conforte la rédaction issue du Sénat, en ouvrant le droit à l’oubli au bout de 5 ans à ceux qui ont été malades avant 18 ans et au bout de 10 ans pour les autres. Nous innovons également avec la mise à disposition des données anonymisées de l’Assurance maladie aux chercheurs, aux start ups et aux lanceurs d’alerte. Enfin, nous renforçons la transparence entre les professionnels de santé et les acteurs industriels en rendant publics l’ensemble des conventions d’expertise, les avantages en nature et leurs montants.
III- Depuis près d’un an maintenant, le texte a évolué pour investir des champs nouveaux et pour répondre aux inquiétudes qui ont été soulevées. Le travail parlementaire a été déterminant.
La première lecture du texte par votre assemblée a ainsi permis d’avancer dans deux directions.
- D’abord, votre travail a permis de répondre aux inquiétudes des médecins libéraux en enrichissant le texte avec des précisions, notamment sur la place des ARS, sur les modalités d’organisation par les médecins eux-mêmes des soins de premier recours et la reconnaissance des équipes de soins de proximité pour faire face aux défis du vieillissement et de l’augmentation des maladies chroniques. Sur le tiers-payant, la discussion a permis d’inscrire dans la loi la garantie d’une mise en oeuvre simple et progressive. Je ne doute pas que nous y reviendrons à l’article 18.
- Ensuite, votre travail a permis d’ouvrir des champs nouveaux. Je pense à la santé environnementale, avec une meilleure information au public en matière de pollution de l’air, ou aux droits des femmes, avec le renforcement de l’accès à l’IVG.
Ces mesures pour renforcer l’accès à l’IVG ont d’ailleurs été votées conformes par le Sénat, qui a également approuvé les salles de consommation à moindre risque. Mais l’examen du texte par le Sénat a aussi profondément affaibli sa cohérence globale, en supprimant des dispositions centrales comme le tiers payant et le paquet neutre.
Votre commission des Affaires sociales a réintroduit ces mesures et je tiens à l’en remercier. Vos débats ont par ailleurs été l’occasion de revenir sur les inquiétudes des médecins libéraux. Je suis sensible à ce qu’elles disent des conditions de travail, des évolutions en cours dues aux nouvelles technologies, à la pression des patients ou au sentiment de manque de reconnaissance sociale. Le projet de loi ne comporte aucune mesure d’étatisation, au contraire il fait confiance aux médecins de terrain. Il ne remet nullement en cause l’indépendance des professionnels, la part des complémentaires santé a fortement diminué depuis que je suis aux responsabilités. Ce débat sur la place et le rôle des complémentaires est pour moi essentiel, parce que je crois de toutes mes forces au caractère irremplaçable de l’Assurance maladie obligatoire, seule à être solidaire. J’entends la crainte d’un déclassement et d’une dévalorisation de la médecine libérale. Je vais fixer prochainement les grandes orientations de la négociation de la nouvelle convention médicale, et je rencontrerai à cet effet en amont les organisations syndicales pour faire le point avec elles. Cette convention abordera de nombreux sujets. Il est bien clair, dans mon esprit, que le statu quo tarifaire n’est pas envisageable.
Mesdames et messieurs les députés,
Le travail parlementaire a permis d’avancer, de lever les malentendus. Il a aussi montré combien il y a urgence à agir pour moderniser notre système de santé, pour répondre aux attentes des Français. Un récent rapport de l’OCDE montrait que la France était le pays dans lequel les performances du système de santé étaient les meilleures, parce qu’il permet à nos concitoyens de vivre longtemps en bonne santé et de se soigner avec un reste à charge deux fois moins important que la moyenne des pays de l’OCDE. Mais ce rapport montrait aussi que, plus que d’autres pays, la France était confrontée à des inégalités de santé dues à la faiblesse de la prévention, au tabac, à l’alcool et à une organisation trop centrée sur l’hôpital, insuffisamment tournée vers la ville. Répondre à ces enjeux, protéger notre modèle social en l’adaptant aux défis de ce siècle, garantir à nos concitoyens une protection et un accès à des soins de qualité, c’est toute l’ambition de ce texte. Pour les patients, pour les professionnels, pour tous les Français, il nous faut relever ce défi ensemble.
Je vous remercie.
Seul le prononcé fait foi