03 Décembre 2014
|Discours de Mme Geneviève Fioraso le mercredi 3 décembre 2014
Remise du prix d’Honneur de l’Inserm
Madame la Ministre, chère Claudie Haigneré,
Monsieur l’Administrateur général du collège de France, cher Serge Haroche,
Monsieur l’Administrateur général du CEA, cher Bernard Bigot,
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président-directeur général de l’Inserm et de l’Alliance Aviesan, cher Professeur Yves Lévy,
Monsieur le Président d’Imagine, cher Professeur Alain Fischer,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les directeurs,
Mesdames et messieurs les lauréats,
Mesdames et messieurs,
Monsieur le Professeur, cher William Vainchenker,
Je suis très heureuse d’être avec vous ce soir, pour cette cérémonie de remise des Prix Inserm, pour la 3ème année consécutive.
Ces prix consacrent l’excellence de la recherche biomédicale française et j’aurai le privilège d’en remettre deux ce soir, le Prix d’Honneur et le Grand Prix. L’Inserm, placé sous la double tutelle des ministères en charge de la Santé et de la Recherche, joue un rôle crucial dans le développement et le soutien de cette recherche biomédicale d’excellence en France. Plus largement, l’Inserm joue un rôle majeur dans le paysage français et international de la recherche biomédicale notamment grâce à son engagement dans l’alliance nationale Aviesan. Et je voudrais saluer ici personnellement le président de l’Inserm et de l’alliance Aviesan, le Professeur Yves Lévy.Vous décerner ce Prix d’Honneur de l’Inserm, cher William Vainchenker, c’est aussi mettre en évidence un parcours qui, comme ceux de vos co-lauréats, aura valeur d’exemplarité, pour vos pairs, mais aussi pour le grand public, pour les jeunes, collégiens, lycéens, étudiants, thésards.
William Vainchenker, votre parcours est tout entier dédié à la compréhension des mécanismes du cancer et à la lutte contre cette maladie.
Vous l’avez fait sous le double angle de la recherche et de la clinique, puisque vous êtes à la fois pleinement médecin et chercheur. En 1978, après des études de médecine et un DEA de physiologie cellulaire, vous entrez à l’Inserm en tant que chargé de recherches, et c’est là que vous commencez à travailler sur la caractérisation des cellules progénitrices à l’origine des plaquettes et des globules rouges.
Vous devenez très vite directeur de recherche, en 1982, et dirigez alors pendant près de 20 ans l’un des plus gros laboratoires français spécialisés dans l’étude des cellules et des maladies du sang.
Spécialiste mondialement reconnu de l’hématopoïèse – la création et le renouvellement des cellules sanguines -, vous avez vu votre longue et brillante carrière couronnée par de très nombreuses distinctions. Le temps limité qui m’est imparti ne me permet que de citer le prix de l’Association européenne d’hématologie, en 1994, et le prestigieux prix de l’American Society of Hematology, en 2007, que vous êtes d’ailleurs à ce jour le seul Français à avoir obtenu et vous êtes aussi membre de l’Académie des Sciences.
Vous poursuivez actuellement vos recherches sur l’hématopoïèse au sein de l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy, à Villejuif.
L’une de vos principales découvertes est celle de la thrombopoïétine, hormone qui régule la production des plaquettes.
En étudiant les syndromes myéloprolifératifs, maladies qui aboutissent à un excès de cellules dans le sang et peuvent se transformer en leucémies aiguës, et en particulier la maladie de Vaquez, vous avez identifié en 2005, avec votre équipe, une mutation génétique unique, récurrente et acquise, qui modifie une protéine qui est un acteur clé de l’hématopoïèse, la protéine kinase Jak2.
Vous avez montré que cette mutation, présente chez 80 % des patients atteints de la maladie de Vaquez, est impliquée dans plusieurs maladies de prolifération des cellules sanguines.
La découverte de cette mutation a déjà modifié le diagnostic de ces maladies, et elle a ouvert la voie à des nouvelles approches thérapeutiques, avec des médicaments ciblant cette protéine.
Détenteur d’un certain nombre de brevets, vous avez donc directement contribué, par vos travaux, à des progrès concrets dans le traitement des leucémies aigües, maladies particulièrement mortelles qui touchent près de 2.000 personnes en France.
J’ai été frappée que vous souligniez la nécessité qu’il y a d’aller de la recherche biologique fondamentale à la recherche clinique, translationnelle, jusqu’à l’application. Et je voudrais saluer l’existence de pôles mixtes comme l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy, où vous travaillez, qui regroupent un service hospitalier, des activités de recherche fondamentale et translationnelle de très haut niveau. Cette proximité permet de créer un dialogue étroit entre la recherche et les applications cliniques, dialogue indispensable pour passer toujours plus vite des inventions aux innovations, de la compréhension des mécanismes, des applications pour le diagnostic et les thérapies innovantes et ciblées.
Vous avez ressenti très tôt le besoin de conjuguer votre travail de recherche à une activité clinique, pour garder un lien avec les patients, en assurant une consultation hebdomadaire en hématologie à l’hôpital Saint-Louis à Paris.
Ce contact direct avec les réalités, avec ses applications concrètes aussi, est un privilège des médecins-chercheurs. Le travail en laboratoire peut être éprouvant, « déshumanisant » parfois (c’est votre expression). Car vous savez qu’avant tout, les recherches que vous menez avec patience, détermination, qu’elles soient de moyen ou long terme, n’ont qu’un objectif : améliorer la vie des patients, mieux les soigner, avec des thérapies de moins en moins invasives, de plus en plus ciblées.
Je voudrais partager avec vous les propos du Pr. Xavier Leverve, lui aussi chercheur et praticien hospitalier, qui écrivait avoir toujours « vu le malade au fond de l’éprouvette ». Si la recherche fondamentale ne doit pas être finalisée, quand elle n’est pas prédictible, elle n’est pas pour autant sans finalité, sans dessein : dans les tubes du laboratoire, c’est bien la guérison programmée pour tous qui se prépare, à terme que l’on espère le plus proche possible.
Le travail de recherche nécessite de la constance, constance qui confine parfois à l’obstination. Vous l’avez très justement exprimé : c’est la capacité à garder son cap, et ce tout au long d’une vie.
Animé par cette curiosité, cette envie de la découverte, toujours renouvelées, vous n’avez pas eu peur de vous lancer dans des projets ambitieux, de grande ampleur. Proche de l’ « âge légal de la retraite », après une carrière si riche, vous avez gardé la même audace, le même élan, et attendez avec impatience les résultats d’un appel à projets européen auquel vous avez postulé…
Je vous félicite et vous souhaite de réussir car vous le savez, et je le dirai tant que cela sera nécessaire, les chercheurs français sont encore trop peu nombreux à répondre aux appels d’offres de l’Europe.
Pourtant nos dossiers sont largement à la hauteur des enjeux, la qualité de nos lauréats ce soir le montre si bien ! D’ailleurs, nos taux de succès sont tout à fait satisfaisants, nous devançons même les Anglais et les Allemands en taux de succès, ce sont bien nos candidatures qui sont trop faibles.
Alors pour tous les jeunes chercheurs, les directeurs de laboratoires qui sont dans la salle et pour qui vous êtes un modèle, je le redis : en cela aussi ils doivent s’inspirer de votre parcours et de votre démarche, et je les encourage fortement à devenir des acteurs dynamiques de l’Europe de la recherche, qui doit se construire davantage avec nous. Car au-delà des financements perdus, si le retour en projets était au même niveau que notre candidature, nous bénéficierions en effet de 700 millions d’euros de plus chaque année dans le programme H2020. Au-delà de cette perte en moyens financiers donc, nous perdons en visibilité internationale, en mise en réseau européenne et en influence sur la politique de la recherche au niveau européen.
Enfin, et ce n’est pas le moindre, cher William Vainchenker, je voudrais saluer vos grandes qualités humaines. Le reportage a souligné votre disponibilité pour vos collaborateurs, pour vos étudiants. Il est évident, avec vous, que le travail de recherche est un travail d’équipe.
Vous êtes un passeur de science, pour les futurs chercheurs, mais aussi et peut-être surtout, pour les futurs praticiens hospitaliers, dont il importe tellement qu’ils soient formés à et par la recherche ou par la recherche.
Cher William Vainchenker, vous êtes un des plus grands spécialistes mondiaux de l’hématopoïèse, et incontestablement un leader français dans ce domaine. Vos recherches pionnières ont révolutionné la discipline, et déjà permis des avancées considérables dans le traitement des leucémies aigües. Vos recherches représentent un espoir formidable pour de nombreuses familles, associations de patients et patients. Pour toutes ces raisons, pour vous remercier et vous honorer en leur nom, au nom de toute la communauté scientifique et de toute la société, je suis très heureuse de pouvoir vous remettre ce soir le Prix d’Honneur de l’Inserm.
Seul le prononcé fait foi