24 Octobre 2014
|La question semble singulière : pourquoi interdire le café, produit de consommation courante, souvent présenté comme le deuxième bien d'exportation dans le monde après le pétrole ? Parce qu'il contient de la caféine, un perturbateur endocrinien. Mais soyons honnêtes, cette question est une provocation. Car la caféine ne provoque pas de dommages irréversibles sur le système endocrinien et ses effets ne sont ni différés, ni transgénérationnels. Si la question est provocatrice, c'est que l'enjeu est de taille. La France s'est dotée depuis cette année d'une Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) pour les détecter, prédire et mesurer leurs effets, réduire ou éviter les expositions notamment vers les populations sensibles.
Soyons honnêtes jusqu'au bout : les perturbateurs endocriniens font peur. Explosion des maladies chroniques, baisse inquiétante de la fertilité ; même s'ils ne sont pas les seuls responsables, les perturbateurs endocriniens inquiètent par leurs effets délétères sur la santé. Car ils sont présents dans de nombreux produits industriels et de grande consommation.
Comment éviter un débat émotionnel, irraisonné entre citoyens, ONG et industriels ? En plaçant la science au cœur des discussions ! La définition des perturbateurs endocriniens établie par l'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé, fait consensus : « substances chimiques d'origines naturelles ou artificielles étrangères à l'organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants ».
Cependant, cette définition ne répond pas à toutes les interrogations : à quelles doses ces produits deviennent-ils dangereux ? Existe-t-il des seuils à ne pas dépasser ? Par ailleurs, il existe certains perturbateurs endocriniens d'origine naturelle comme le soja ou les phyto-oestrogènes des végétaux qui sont sans effets néfastes sur les générations futures. D'autres sont d'origine synthétique : la pilule, certains herbicides, certains insecticides, certains fongicides, certains produits chimiques industriels (paraben, bisphenol A, PCB). Et pour complexifier encore le débat, la science aujourd'hui est extrêmement performante. Elle peut (presque) tout trouver lorsqu'elle cherche. Un résultat seul ne faisant donc pas foi, les tests doivent être mis en perspective et comparés les uns aux autres.
Nous vivons dans un monde aux tempos très différents : le temps politique n'est pas celui de la recherche. Les médias vont vite, au rythme de l'opinion et les politiques suivent. Or la recherche et les industriels demandent du temps pour étudier la toxicité des produits et chercher des substituts.
Et le législateur dans tout ça ? La France fait figure de pionnière en Europe. Notamment à propos de l'interdiction du bisphenol A dans tous les contenants alimentaires au 1er janvier 2015. Mais une réglementation nationale revêt un caractère désuet, inefficace au regard de la mondialisation de l'économie et des réglementations internationales d'une très grande diversité.
Il semble par conséquent nécessaire de standardiser des cadres réglementaires nationaux et européens afin d'harmoniser les méthodes d'essais, les méthodologies d'approches pour l'évaluation des dangers. Une définition des critères européens est d'ailleurs en cours de développement pour fin 2015, début 2016.
N'oublions pas également que l'enjeu est mondial. Si l'Europe de la Recherche et de l'Industrie ne s'organise pas, des tests viendront de l'étranger. Ceux proposés par des entreprises françaises ne seront plus achetés. Il faut donc dialoguer et surtout s'entendre. Que ONG, citoyens, entreprises, industries se demandent ensemble : de quoi avez-vous peur ? L'équilibre est fragile car l'émotionnel n'est jamais très loin. Un débat irraisonné provoquerait une réaction en chaîne : anxiété chez les citoyens et les ONG qui se radicaliseraient, pouvoirs publics qui joueraient la surenchère de l'interdiction, et en bout de chaîne, industriels confrontés aux interdictions de produits et privés de capacités d'innovation, qui menaceraient de partir à l'étranger. Aussi, il ne faut pas que les nouvelles réglementations soient de nouveaux freins à l'innovation. Le député SRC de Meurthe-et-Moselle Jean-Yves Le Déaut a d'ailleurs déposé une proposition de loi pour compenser les effets produits par l'application trop stricte du principe de précaution.
Le défi majeur pour l'avenir restera la protection de la santé humaine et de l'environnement dans un contexte de mondialisation des échanges. Il est hors de question de sacrifier la santé de nos concitoyens sur l'autel du capitalisme et de la même façon, il est impensable de sacrifier notre industrie et nos emplois avec une sur-réglementation sans aucun bénéfice réel pour la santé de nos concitoyens.
Dr Christian Recchia
Secrétaire Général du Comité Prévention Santé à ADICARE
(ADICARE : association fondatrice de l'Institut de Cardiologie à la Pitié Salpêtrière)