05 Février 2013
|La démission de l'ancien Commissaire européen à la Santé, John DALLI, a jeté la lumière sur les intérêts industriels qui gravitent autour de la Commission européenne, l'entachant régulièrement de suspicions de conflits d'intérêts.
Directive sur le tabac, aspartame, bisphénol A : face à des enjeux économiques colossaux, la régulation sanitaire européenne est souvent retardée par les pressions des milieux industriels.
Pris en otage, les citoyens sont les premières victimes de telles dérives. Au Parlement européen, nous ne nous résignons pas à ce que ce lobbying fasse la décision publique, en particulier en matière de santé.
Régulièrement, nous appelons la Commission européenne à garantir l'indépendance des experts scientifiques.
A plusieurs reprises, nous avons exigé de la part des agences européennes transparence et rigueur dans les déclarations d'intérêt de leurs experts.
Prenons un exemple : un dossier d’actualité, d’apparence technique, qui reflète à quel point la machine européenne, par sa complexité, permet des dérives entrainant une confiscation de l’Europe par quelques intérêts privés.
Ce dossier, c’est celui du médicament Orphacol. Ce dernier est destiné à traiter deux maladies du foie orphelines, extrêmement rares et graves, engageant le pronostic vital si elles ne sont pas prises en charge rapidement. Issu de la recherche hospitalo-universitaire de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, ce médicament a fait l’objet d’une demande d'autorisation de mise sur le marché en 2009, pour être ainsi disponible non seulement en France, mais partout en Europe.
Malgré 20 ans d’utilisation en France, malgré le fait qu’il ait reçu en décembre 2010 un avis positif de l'Agence Européenne des Médicaments à l'unanimité, malgré son classement parmi les « produits ayant un intérêt notable de santé publique », malgré les avis favorables des Etats membres, exprimés à deux reprises, son autorisation de mise sur le marché s'est vu bloquée par la Commission européenne.
Pourtant, cette dernière n’a aucune capacité d’expertise scientifique ; elle suit systématiquement les avis des agences européennes et des experts des Etats membres.
Dans l’histoire de la réglementation européenne, c'est la première fois qu'une telle succession d’avis scientifiques n'est pas suivie par la Commission européenne. Ce précédent, inédit, invite à s'interroger : pourquoi, quelles sont les motivations et, surtout, à qui profitent ces retards de procédures et ces blocages ?
Comme je l'ai soulevé au Parlement européen à plusieurs reprises, tout laisse à penser qu’il s'agit de favoriser un autre laboratoire, en l'occurrence américain, qui a déposé bien plus tardivement un dossier pour un médicament similaire. Lorsqu'une Institution, en charge des intérêts sanitaires et industriels de l’Europe, outrepasse des avis scientifiques, voit une série d'Etats membres s'indigner de ses manoeuvres et ne répond pas à toutes les exigences de transparence du Parlement Européen, ces suspicions sont légitimes.
Cette affaire jette une lumière crue sur l'arbitraire dont est capable une machine institutionnelle, qui ignore notamment les alertes démocratiques, en particulier celles lancées par le Parlement européen. Sûre de son droit, de ses compétences techniques et juridiques, la Commission européenne a fait preuve d'arbitraire pensant qu'une injustice faite à un petit laboratoire passerait inaperçue.
A un peu plus d’un an des prochaines élections européennes, alors que les citoyens doutent chaque jour un peu plus de l’Europe, la Commission européenne porte une responsabilité immense. Il en va de l’image de l’Europe dans son ensemble.
Elle doit donc rapidement reconnaître son erreur dans ce dossier et valider l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament soutenu de toute part. Surtout, pour que plus jamais de telles affaires ne viennent nourrir les suspicions légitimes ou fantasmées, nous devons, plus que jamais, mettre en place des mécanismes qui permettent au Parlement européen d’être réellement écouté et respecté. Il en va non seulement de l’intérêt de l’Europe, mais de sa crédibilité et de sa légitimité.
Tribune de Gilles Pargneaux publiée dans le Huffington Post – 3 février 2013