30 Novembre 2012
|Le virus de la variole a été identifié dans des corps gelés datant de plusieurs centaines d’années en Sibérie. L’analyse de séquences d’ADN de ce virus ouvre de nombreuses perspectives pour l’analyse de la vitesse d’évolution des virus. Ce travail publié dans Le New England Journal of Medicine est le fruit d’une collaboration internationale pluridisciplinaire coordonnée en France par le Laboratoire d’Anthropologie moléculaire et d’imagerie de synthèse (AMIS, Université Toulouse III – Paul Sabatier / CNRS / Université de Strasbourg) et le laboratoire « Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé » (Aix-Marseille Université / CNRS / Etablissement français du sang).
L’Université fédérale du Nord-Est à Iakoutsk (Fédération de Russie), l’Académie des sciences de la Fédération de Russie et le Muséum d’histoire naturelle de l’Université de Copenhague ont également participé à cette étude qui a réuni des anthropologues, des virologistes, des médecins légistes, des histologistes, des généticiens, des archéologues et des historiens. Elle a également bénéficié du soutien du laboratoire international associé France-Russie Coévolution Homme/Milieu en Sibérie Orientale (COSIE, Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNRS, Université de Strasbourg, l’Université fédérale du Nord-Est et l’Université médicale de Krasnoïarsk), du ministère français des Affaires étrangères et de l’Institut polaire français Paul-Emile Victor.
La variole, maladie liée au virus du même nom, a été l’une des grandes tueuses de l’histoire de l’humanité avec, rien que pour les deux derniers siècles, plusieurs centaines de millions de morts. Endémique dans le monde entier à partir du 18e siècle, elle est responsable de la disparition de nombre de populations autochtones en Amérique, en Afrique et en Asie. Grâce à la généralisation de la vaccination, entamée dès le début du 19e siècle par le médecin anglais Jenner, elle a pu être considérée comme éradiquée par l’Organisation mondiale de la santé en 1979. Seuls deux laboratoires, un russe et un américain, en gardent toujours des souches afin de pouvoir lutter contre le bioterrorisme.
Malgré de nombreux travaux, les origines et les modes de propagation de la variole sont peu connus. Elle aurait pu apparaître il y a plus de 4000 ans en Egypte, au Moyen-Orient ou dans la vallée de l’Indus. Elle semble avoir sévi aux débuts de notre ère en Chine et en Europe mais les souches les plus anciennes dont disposent les chercheurs sont celles isolées aux débuts des années 1950 sur des patients vivants. En raison des centaines de millions de morts dont le virus est responsable, les scientifiques espéraient depuis de nombreuses années retrouver des fragments d’ADN de souches plus anciennes dans des corps décédés au cours d’épidémies à l’époque historique. C’est désormais chose faite grâce à une découverte réalisée en 2004 dans le nord sibérien par une équipe de chercheurs des universités du Nord-Est à Iakoutsk, Toulouse III – Paul Sabatier, Aix-Marseille et du CNRS, soutenue par le ministère des Affaires étrangères.
Cette année-là, les anthropologues mirent au jour une riche sépulture de l’élite datée du début du 18e siècle qui comportait cinq sujets inhumés simultanément. Les premières études, initiées par les professeurs Eric Crubézy et Bertrand Ludes qui dirigeaient à la fois les fouilles et les études en laboratoire, portèrent sur les liens de parenté de ces sujets grâce aux techniques de l’ADN ancien. Il apparut ainsi qu’il s’agissait des membres d’une même famille. L’autopsie, qui fut réalisée quelques années plus tard, sur le corps le mieux conservé, stocké dans un congélateur à l’Université de Iakoutsk montra que le sujet était décédé avec du sang dans ses poumons. Parmi plusieurs causes possibles, la variole fut alors envisagée mais il fallait trouver un laboratoire susceptible de pouvoir étudier le virus ce que permit la collaboration avec le Docteur Philippe Biagini, virologiste d’ADES. Un long travail unissant alors ces deux laboratoires auquel s’associa rapidement celui de l’Université de Copenhague commença. Même si les scientifiques ne croyaient guère à une possible conservation du virus, il fallut démontrer que si on pouvait mettre des séquences de son ADN en évidence celui-ci était suffisamment dégradé et les séquences suffisamment petites pour ne plus être potentiellement dangereuses.
Finalement, des petits fragments de l’ADN purent être détectés et une partie du code génétique du virus reconstituée informatiquement. Il apparaît que si une partie de l'information génétique a relativement peu changé au cours des 300 dernières années, la souche impliquée, qui pourrait être responsable de la disparition d’une partie de la population iakoute de l’époque, n’était pas connue des chercheurs à ce jour. Elle permet de reconsidérer l’histoire de l’évolution de cette maladie et les données obtenues permettent aussi d’évaluer les vitesses d’évolution des virus, élément d’importance lors de la mise au point de vaccins contre les agents viraux.
Désormais, les chercheurs espèrent pouvoir étudier d’autres fragments d’ADN, voire même, arriver à assembler informatiquement tous les morceaux de l’ADN du virus. En dehors de la virologie, ces études s’intègrent à des débats plus larges autour de la relation biologie/culture et des relations entre archéologie, histoire et biologie où l’histoire de la Iakoutie tient une place de choix en raison des études permises sur les corps gelés inhumés dans le pergélisol.