08 Juillet 2011
|Des chercheurs de l’unité mixte1 CEA/Inserm/Université Paris-Sud 11/Université Paris Diderot - Paris 7 ont utilisé un modèle de greffe de cellules souches hématopoïétiques2 pour observer les effets potentiels à long terme d’une contamination par le tritium, notamment en termes de cancérogénèse. Leurs travaux montrent que des doses élevées de thymidine tritiée3, si elles induisent un ralentissement de la prolifération des cellules souches hématopoïétiques à court terme, n’entraînent pas de transformation leucémique à long terme chez le rongeur. Ces travaux constituent une étape importante pour permettre une meilleure évaluation des risques pour l’Homme d’une exposition au tritium. Ils sont publiés en ligne par la revue International Journal of Radiation Biology.
La protection des travailleurs de l’industrie électronucléaire, du public et de l’environnement contre les effets toxiques des contaminants radioactifs nécessite des modèles permettant d’estimer les risques potentiels tant chez l’Homme que chez l’animal ou les végétaux et de définir des normes de radioprotection selon la démarche Alara4. Si l’on connaît désormais mieux la toxicologie de la plupart des radionucléides liés à la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire, celle du tritium à long terme reste encore à approfondir.
Pour aborder cette problématique, l’une des difficultés est de disposer de modèles biologiques permettant d’observer les effets du tritium à court et long terme. En particulier, l’observation à long terme d’effets potentiellement cancérigènes implique de disposer de cellules qui, après contamination, sont capables de survivre longtemps dans l’animal. Dans cette optique, les chercheurs ont développé un modèle basé sur les propriétés des cellules souches hématopoïétiques. Ces cellules souches assurent, tout au long de la vie d’un individu, la production régulée de toutes les cellules sanguines. Elles peuvent être purifiées puis greffées sur un autre animal pour assurer l’hématopoïèse, ce qui permet de mener des études sur une échelle de temps significative. Elles représentent donc un système expérimental de choix pour étudier les effets à long terme d’une perturbation chimique ou physique.
Afin d’étudier les effets du tritium sur les cellules souches hématopoïétiques animales, leschercheurs ont eu recours à une molécule, la thymidine, qui a la particularité d’être incorporée dans l’ADN lors de sa duplication. En intégrant du tritium dans cette molécule, obtenant ainsi de la thymidine tritiée, ils ont pu observer les conséquences de l’incorporation du tritium dans l’ADN, et donc des dommages faits à cet ADN par l’élément radioactif en termes de cancérogenèse. Les plus fortes concentrations en tritium utilisées dans l’étude sont plus de 3 000 fois supérieures à la valeur guide recommandée par l’Organisation mondiale de la santé5 pour les eaux de boisson (2011). Les cellules ayant résisté à cette contamination6 ont ensuite été injectées à des souris ayant reçu un traitement destiné à éliminer leurs propres cellules souches hématopoïétiques. Ces souris ne pouvaient donc restaurer leur hématopoïèse qu’à partir des cellules souches hématopoïétiques transplantées. Quatre mois après transplantation des cellules souches contaminées, l’analyse de l’hématopoïèse des souris greffées montre que ces cellules conservent une capacité à reconstituer l’hématopoïèse à court terme identique à celle des cellules non contaminées.
Dans une deuxième étape, pour voir l’effet sur le long terme, les cellules souches des souris greffées ont été purifiées et greffées une seconde fois sur une autre souris. Cette fois, les chercheurs ont observé une diminution d’efficacité de l’hématopoïèse sans conséquence fonctionnelle importante ni apparition de cancer (leucémie).
En conclusion, ces résultats indiquent que la mise en contact de cellules souches hématopoïétiques de rongeurs avec de très fortes doses de tritium n’altère pas les fonctions de ces cellules souches et n’entraîne pas de transformation leucémique chez l’animal. En revanche, elle peut induire une diminution de l’efficacité de l’hématopoïèse très longtemps après la contamination.
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Référence :
Tritium contamination of hematopoietic stem cells alters long-term hematopoietic reconstitution. Fabio Di Giacomo, Christine Granotier, Vilma Barroca, David Laurent, François D. Boussin, Daniel Lewandowski, Yannick Saintigny, & Paul-Henri Roméo. International Journal of Radiation Biology, online, 2011
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Référence des équipes :
CEA/DSV/iRCM/LRTS, 92265 Fontenay-aux-Roses cedex, France.
Inserm U967, Université Paris Diderot-Paris 7 et Université Paris-Sud 11, 92265 Fontenay-aux-Roses cedex, France.
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1 Cette unité mixte, UMR Cellules souches et radiations, est regroupée au sein de l’iRCM, Institut de radiobiologie cellulaire et moléculaire de la Direction des sciences du vivant du CEA.
2 Hématopoïèse : ensemble des mécanismes qui assurent le remplacement continu et régulé des différentes cellules sanguines.
3 Thymidine tritiée : la thymidine est une molécule qui va être incorporée dans l’ADN lors de sa duplication. La thymidine tritiée est de la thymidine dans laquelle un atome d’hydrogène est remplacé par un atome de tritium, qui est un des isotopes de l’hydrogène.
4 Alara est l’acronyme anglophone de ''As Low As Reasonably Achievable'' que l'on peut traduire en Français par ''Aussi basse que raisonnablement possible''. Le principe Alara est l’un des principes de base de la protection contre les rayonnements ionisants dont l’objectif est de réduire la dose individuelle et collective au sein des personnels des entreprises de la filière nucléaire.
5 L’OMS recommande pour l’eau de consommation une valeur maximale de 10 000Bq/l en tritium.
6 Entre 30 et 80 % environ des cellules survivent 24h après la contamination en fonction de la dose de thymidine tritiée utilisée.