Données récentes sur la circoncision masculine

Mexico, 5 août 2008


Plusieurs résultats des études ANRS 1265 et 12 126 conduites en Afrique du Sud et présentés à la conférence internationale sur le sida de Mexico insistent sur la nécessité d’accompagner la circoncision masculine par des actions de communication. Si la circoncision masculine parait bien acceptée, aussi bien par les hommes que par les femmes dans une population ayant traditionnellement peu recours à cette méthode, les études révèlent que plus de la moitié des hommes qui se déclarent circoncis ne le sont en fait pas. Par ailleurs, la circoncision masculine serait-elle un frein à l’infection par le virus HPV responsable des papillomes ? 21 mois après la circoncision, la prévalence de l’infection par HPV est inférieure de 40% chez les hommes circoncis par rapport à un groupe d’hommes non-circoncis.


En parallèle de la conférence, une étude de modélisation publiée dans PLoS ONE du 7 Août démontre le bénéfice économique d’un programme de circoncision masculine concernant 85% de la population d’Afrique subsaharienne. Tout en permettant une diminution du nombre de personnes infectées, un tel programme entraînerait une baisse des budgets que les pays consacrent aux traitements et générerait à moyen terme des économies appréciables pour les budgets de santé.

Les premières études d’observation suggérant que la circoncision masculine réduirait le risque de transmission du VIH datent de 1986. Mais c’est en 2005 que la démonstration scientifique en était apportée par l’étude randomisée et contrôlée ANRS 1265. Menée auprès de 3 274 hommes de la région d’Orange Farm, proche de Johannesburg, par une équipe associant des chercheurs de l’AP-HP et de l’Université de Versailles regroupés au sein de l’Unité 687 Inserm en France, des chercheurs de l’Institut national des maladies transmissibles (NICD) et de Progressus en Afrique du Sud, l’étude ANRS 1265 montrait que la circoncision masculine réduisait le risque de transmission du VIH d’environ 60 % chez l’homme (voir communiqué du 27/07/2005). Ces résultats ont été confirmés, en décembre 2006, par des équipes américaines et africaines (voir communiqué du 13/12/2006).

Selon le Pr Jean-François Delfraissy, Directeur de l’ANRS, « les travaux sur la circoncision masculine ont ouvert une nouvelle ère dans la lutte contre le sida : nous disposons dorénavant d’un nouvel outil potentiel de prévention. C’est un vrai défi pour les chercheurs que de valider l’efficacité de cet outil à l’échelle d’une population. C’est ce que tente de faire
la nouvelle étude ANRS 12 126, actuellement en cours, dont on présente à Mexico les premiers résultats relatifs aux connaissances et aux attitudes ».

Des études qualitatives indispensables

La circoncision masculine est dorénavant progressivement incorporée dans les programmes nationaux de prévention du VIH, particulièrement dans les régions où la prévalence de l’infection est forte et la prévalence de la circoncision faible. L’information et la communication sont des composantes essentielles des stratégies globales qui se mettent en place, particulièrement en raison de la protection partielle offerte par cette technique. Un « faux sentiment » de sécurité totale vis-à-vis du VIH pourrait se répandre dans la population, engageant les hommes circoncis dans des conduites à risque et sans protection. Par ailleurs, pour être menés à bien, les programmes de circoncision masculine doivent reposer sur l’adhésion des hommes et des femmes à cette stratégie complémentaire de prévention. Les études qualitatives sont, dans ce contexte, particulièrement intéressantes.


La circoncision est acceptée par une majorité d’hommes et de femmes

Dans l’étude ANRS 12 126, Bertran Auvert (Université de Versailles, AP-HP, Inserm Unité 687) avec ses collègues de Progressus et de l’Institut national sur les maladies infectieuses en Afrique du Sud1 ont interrogé, en 2007, 1 201 hommes et 1 399 femmes, âgés de 15 à 49 ans, représentatifs de la population du Township d’Orange Farm. Cette région sud-africaine se caractérise par un faible taux de circoncision (27.8% rapportés) et une prévalence du VIH élevée (22%). Après avoir mené des actions d’information sur la circoncision et sur la prévention, les chercheurs montrent qu'environ 80 % des hommes non circoncis se déclarent prêts à accepter la circoncision dans le cas où celle-ci serait gratuite et sécurisée. La majorité des femmes interrogées (90 %) accepterait la décision de leur partenaire. Ils observent par ailleurs que parmi les 80 % d’hommes qui l’envisagent favorablement, 72 % passent à l’acte et se font circoncire2 Les hommes y voient d’abord un intérêt personnel : la raison la plus fréquemment citée dans son choix est d’agir pour « sa propre santé » (30%). Seuls 16% des enquêtés pensent que la circoncision les protège complètement contre l’infection et une majorité (90%) dit savoir qu’il faut continuer à se protéger en utilisant le préservatif1.

Renforcer l’information et les conseils

Les données de l’étude ANRS 12126 « si elles ne sont pas généralisables à l’ensemble des pays africains, sont encourageantes et suggèrent que des programmes de circoncision peuvent être menés dans des régions a priori peu habituées à ce type de pratique à la condition d’être accompagnées de campagnes d’information » explique Bertran Auvert. Une conviction renforcée par les éléments apportés par un autre volet de l’étude ANRS 12 126 portant sur les connaissances relatives à la circoncision1.


1 C. Legeai (1), D. Taljaard (2), D. Lewis (3), A. Puren (3) , V. Demaux-Msimang (3), P. Lissouba (1), F. Lert (1), B. Auvert (4) : readiness of a South African community to use male circumcision as an intervention againts AIDS.
(1) INSERM U687, Villejuif, France, (2) Progressus, Johannesburg, South Africa, (3)National Institute for Communicable Diseases, Johannesburg, South Africa, (4) INSERM U687, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, University Versailles Saint-Quentin, France. (présentation affichée).

2 D. Taljaard, D. Rech, S. Doyle (Progressus), D. Lewis (Institut national sur les maladies infectieuses de Johannesbourg), C. Legeai, P. Lissouba, F. Lert (Unité 687 Inserm, Villejuif), B. Auvert (Unité 687 Inserm, APHP et Université de Versailles-Saint-Quentin) : Estimating the uptake of safe and free male circumcision in a South African community (présentation orale Mardi 5 août).




Quand on leur demande s’ils sont circoncis, 28% des hommes répondent qu’ils le sont. Or, un examen clinique révèle que seulement 55% d’entre eux le sont réellement. Quand on examine leur statut sérologique par rapport au VIH, les hommes qui s’avèrent cliniquement circoncis sont deux fois moins infectés que les hommes qui ne le sont pas (10,5% vs 21,2%).

Ces chiffres confirment l’importance de la communication sur ce qu’est la circoncision afin de la différencier d’autres pratiques pouvant survenir au décours de la vie et pouvant relever de la symbolique ou de l’initiation, par exemple. Ils nous interrogent également sur le nombre réel d’hommes circoncis dans le monde. L’OMS et l’ONUSIDA estimaient, en 2007, à 665 millions le nombre d’hommes circoncis dans le monde, soit 30% de la population masculine.


La circoncision : un frein aux infections par le papillomavirus

Outre son action dans la prévention partielle contre le VIH, la circoncision pourrait également agir sur le risque d’infection par le HPV, virus responsable des papillomes dont on connaît le rôle dans le cancer du col de l’utérus. Dans l’étude ANRS 1265, Bertran Auvert et ses collègues de l’Unité 687 Inserm, de l’Institut national sur les maladies infectieuses de Johannesbourg et de Progressus en Afrique du Sud3 ont observé 1264 hommes, âgés de 18 à 24 ans, dont la moitié a accepté d’être circoncis. 21 mois après la circoncision, ils remarquent que la prévalence du HPV est inférieure de 40% dans le groupe « circoncis » par rapport au groupe « non-circoncis ».

« La circoncision pourrait ainsi représenter de manière indirecte un moyen de limiter le risque de cancers génitaux dus au HPV chez les femmes » commente Bertran Auvert. S’ils étaient confirmés, ces travaux devraient être mis en perspective avec le coût que représente le vaccin contre le HPV pour les pays du Sud.


Circoncision à grande échelle : une stratégie économique justifiée ?


Les aspects financiers de la circoncision masculine doivent également être pris en compte dans les processus de décision nationaux et internationaux. Quel en sera le coût pour les pays ? Quels bénéfices économiques en attendre ? Dans une publication à paraître le 7 août dans PLoS ONE4, Bertran Auvert et des collègues de l’Université de San Francisco, de
l’Université de Rotterdam et de l’OMS montrent que la circoncision masculine pourrait éviter 2 à 8 millions d’infections sur 20 ans en Afrique subsaharienne. Cette diminution du nombre de personnes infectées entraînerait une baisse des budgets que les pays consacrent aux traitements.


3 B. Auvert (Unité 687 Inserm, AP-HP et Université de Versailles-Saint-Quentin), J. Sobngwi-Tambekou, P. Lissouba (Unité 687 Inserm), A. Puren, M. Nieuwoudt, E. Cutler (Institut national sur les maladies infectieuses de Johannesbourg) et D. Taljaard (Progressus, Afrique du Sud). Effect of male circumcision of Human Papilloma Virus, Neisseria gonorrhea and Trichomonas vaginalis infections in men: results from a randomized control trial. Late beaker (Tuesday 7 August, Late Breaker Track C).
4 Auvert B (1.2.3), Marseille E (4), Korenromp EL (5.6), J Lloyd-Smith (7), R Sitta (1), D Taljaard (8), C Pretorius (9), B Williams (10), JG Kahn (4), Estimating the resources needed and savings anticipated from roll-out of adult male circumcision in Sub-Saharan Africa.
(1) Inserm U 687, Villejuif, (2) Université de Versailles Saint-Quentin, (3) Hôpital Ambroise Paré, Boulogne, (4) Université de Californie à San Francisco, (5) Centre Médical universitaire de Rotterdam, (6) le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, (7) Université libre de Pennsylvannie, Progressus (Afrique du Sud), Sacema (Afrique du Sud), OMS, Genève. (8) Progressus, Afrique du Sud, (9) SACEMA, Afrique du Sud, (10) OMS, Suisse, "The full text of the paper, published in PLoS ONE, will be freely available online at
http://www.plosone.org/doi/pone.0002679."





« Nous nous sommes demandés quel serait le coût d’une action de grande envergure où 85% de la population serait circoncise, en prenant en compte le coût du matériel, du personnel médical et des opérations de communication », rapporte Bertran Auvert. Les chercheurs ont développé un modèle mathématique, incluant les coûts liés la circoncision, ainsi que des données démographiques et celles relatives à la prévalence du VIH. Le choix s’est porté sur 14 pays d’Afrique subsaharienne où la prévalence d’hommes circoncis était inférieure à 80 % et la prévalence du VIH supérieure à 5 %. La prévalence moyenne de circoncision masculine était de 36 %, avec des écarts importants d’un pays à l’autre, allant de 0 % pour le Lesotho à 70 % pour la Tanzanie et le Libéria.


La publication de PLOS One suggère que si 85% des hommes de ces régions étaient circoncis sur une période de 5 ans, il en coûterait 919 millions de dollars, soit 183,8 millions par an. « Le coût annuel d’une telle campagne serait réduit de 83 % à partir de la sixième année. Une grande partie de la population adulte ayant été circoncise, seule la population des hommes atteignant l’âge adulte serait éligible à la circoncision», explique Bertran Auvert. Celui-ci ajoute qu’en augmentant le nombre d’hommes circoncis, le nombre de nouveaux cas d’infection par le VIH diminuerait. « En diminuant le nombre de personnes infectées, on abaisse le budget consacré aux traitements antirétroviraux. Un calcul sur 20 ans
suggère que 2 milliards de dollars pourraient ainsi être économisés dans les 14 pays de l’étude. ». Ces travaux ont été soutenus par l’ANRS.

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