Intervention de Jean Marimbert, Directeur Général de l’Afssaps
Ouverture des Ateliers Nationaux de la Qualité
Tours, 20 janvier 2011




Mesdames et Messieurs,

Comme je l’ai fait tous les deux ans lors des éditions précédentes des ANQ, je m’exprime aujourd’hui en ouverture de ces ateliers. Je le fais dans un contexte d’ébranlement que chacun d’entre nous a à l’esprit, et à l’approche imminente de mon départ après 7 années à la tête de l’agence. Ce sera sans doute d’ailleurs ma dernière intervention publique.

Si je suis venu ce matin parmi vous, c’est pour trois raisons que je souhaite vous exposer.

Tout d’abord, je suis venu pour perpétuer une bonne pratique et être fidèle à cette manifestation. De manière générale la fidélité est une valeur qui compte pour moi, et elle compte encore plus dans les périodes d’épreuve et de tourmente.

Je suis aussi et bien sûr venu pour souligner l’enjeu crucial que représente la qualité dans le domaine pharmaceutique. La recherche de la qualité par tous les acteurs, c’est la base à partir de laquelle on peut construire le meilleur rapport bénéfice / risque des produits, maximiser la sécurité et assurer de façon fiable le meilleur niveau d’efficacité.

Cette exigence s’applique tout au long de la chaine qui va des essais non cliniques et cliniques des diverses phases jusqu’à l’administration du produit au malade et son bon usage, en passant par la fabrication des matières premières pharmaceutiques, la production des médicaments, la distribution par les intermédiaires, la prescription par les médecins et la dispensation par les pharmaciens.

A tous les stades de cette chaine il faut promouvoir inlassablement la qualité, qui passe par le professionnalisme de tous les acteurs, leur rigueur, mais aussi leur honnêteté et leur transparence, notamment quand il s’agit de fournir des données aux autorités de santé.

Et, cela va s’en dire, cette recherche de la qualité concerne aussi l’autorité sanitaire elle-même, dans la conduite de ses propres activités. C’est dans cet esprit que l’Afssaps a commencé depuis quelques années a mettre en place une démarche qualité couvrant l’ensemble de ses activités.

Au bout du compte, dans le fameux tryptique qualité/ efficacité / sécurité, la qualité n’est pas, ce qui vient en plus, c’est au contraire le socle, le fondement à partir duquel on peut et on doit construire et consolider en permanence les autres piliers du tryptique.

La troisième raison de ma présence ce matin, tient à ma volonté d’exprimer quelques idées qui me tiennent à coeur sur l’exercice de la police sanitaire des produits de santé, comme d’ailleurs de toute activité de police.

Le dialogue avec les opérateurs n’y est pas interdit, et n’est nullement synonyme de complaisance. Il est même nécessaire à certains stades, quand il s’agit pour l’autorité de police sanitaire de promouvoir la meilleure compréhension possible des obligations des producteurs comme des distributeurs, qu’elles viennent de la loi ou de toute autre source d’exigences.

L’exercice de la police sanitaire est donc par construction une succession de phases de dialogue général sur la portée des règles et la manière de bien les appliquer, de processus d’échanges contradictoires sur les suites des évaluations et des inspections et le cas échéant sur les projets de décision, mais aussi de désaccords et de conflits, parfois rudes, qu’il faut savoir assumer jusqu’au bout quand l’autorité sanitaire estime devoir prendre des décisions contraignantes dans l’intérêt de la santé publique et des patients.

Les ANQ sont un exemple de ces temps de discussion générale sur les règles pour forger une compréhension partagée, mettre en relief les meilleures pratiques et en définitive faire ainsi progresser la sécurité.

Rien à voir, vous en conviendrez avec ce que l’on a pu lire il y a encore quelques jours sur une prétendue « co-gestion » des missions de l’agence avec les opérateurs économiques.

A la veille de mon départ, je le dis au contraire haut et fort, et sans détour : durant toutes ces années, l’agence n’a pas « co-géré » la police sanitaire, elle l’a tout simplement exercée.

Elle l’a exercée pleinement et en toute indépendance.

Elle l’a exercée avec pour seuls guides l’attachement à la santé publique, le souci de protéger la santé des patients et les valeurs du service public.

Les amalgames trop souvent entendus sur l’agence en général, ces derniers temps, alors qu’on entendait plutôt du bien sur elle il y a encore quelques mois, ne pourront effacer durablement ce qui a été fait et qui vient d’être dit.

Pas davantage d’ailleurs que les petites phrases offensantes pour cette communauté de service public ou pour ses dirigeants actuels, coupables semblent-ils du péché originel de ne pas être des médecins.

Ceux qui se sont laissés aller de façon répétée aux déclarations auxquelles je me réfère n’ont semble-t-il pas encore réalisé que la fonction de directeur général de l’Afssaps avait été occupée pendant 5 ans avant moi par un médecin. Ils n’ont pas compris que personne n’a le monopole de la participation au travail collectif et à l’exercice de la responsabilité dans le domaine de la santé publique. Ils n’ont pas non plus saisi que ce qui compte pour fiabiliser le plus possible les décisions quotidiennes face à des enjeux sensibles et complexes, ce n’est pas la « casquette » de celle ou de celui qui les prend, médecin, pharmacien, administrateur de santé publique, juriste….

Ce qui importe vraiment c’est la qualité du processus d’évaluation et de préparation des choix. Il doit garantir que toutes les données pertinentes disponibles pour éclairer la décision soient bien rassemblées et au bon moment. C’est aussi la qualité de l’échange collégial et contradictoire entre tous les experts internes ou externes qui prennent part au travail préparatoire. C’est enfin, et il faudra progresser encore sur ce point dans le prolongement de la publication des comptes-rendus de séances que l’agence a mis en place depuis 2006, la place donnée à l’expression des positions minoritaires ou dissidentes et la prise en compte de toutes les questions en débat.

Tout ce qui a été fait durant les dernières années par l’agence, et bien avant depuis sa création, sur les multiples fronts de la sécurité sanitaire des produits de santé ne peut pas être balayé aujourd’hui et sera, j’en suis convaincu, de nouveau reconnu quand les conditions d’un examen plus serein et donc plus équilibré seront réunies.

Cela ne peut être le cas aujourd’hui car le débat actuel est dominé par le constat indiscutable que de trop nombreux patients ont été trop longtemps exposés à un risque, et que certains en sont morts.

La police sanitaire a été exercée quand le directeur général de l’agence a retiré des médicaments et parfois des classes entières de médicaments, suspendu les activités d’établissements producteurs de médicaments ou de dispositifs médicaux qui ne fonctionnaient pas en conformité avec les règles de bonne pratique, refusé ou suspendu des essais cliniques, prononcé chaque année des centaines de mise en demeure ou d’interdiction sur des publicités professionnelles, ou encore retiré pratiquement chaque jour, pour des défauts de qualité, des lots particuliers de produits, souvent mais pas toujours en accord avec les laboratoires.

Certes, la police sanitaire de produits de santé a été exercée sans évacuer complètement la nécessité de respecter le droit, de ne pas violer la loi, ou ignorer la jurisprudence qui fixe les limites des pouvoirs de l’autorité de police.

Etrangement, à en juger par certains commentaires récents, formulés en termes généraux, vouloir ainsi agir dans le respect du droit serait un tort, une sorte de péché contre l’esprit de précaution. Singulière vision des choses, qui conduit à reprocher à une autorité publique de vouloir respecter la loi de son pays. Et surtout vision contraire à la réalité, car les exemples abondent de situations ou l’agence a su faire preuve de précaution et prendre quand il le fallait des risques juridiques calculés et assumés.
J’invite sur ce point chacune et chacun d’entre vous à se reporter aux quelques pages d’observations de l’agence dans le cadre de la procédure contradictoire qui a précédé la publication récente du rapport de l’IGAS. Vous y trouverez des développements qui donnaient des exemples précis de telles situations.

Je tenais à rappeler les vérités qui précèdent, afin de rendre justice à l’action de cette communauté de service public qu’est l’Afssaps, au travail au long cours de ses équipes à un moment où elles ont subi un feu de critiques qui les ont accablées, et où trop d’agents de cet établissement public se sentent humiliés par l’image caricaturale et terriblement injuste qui a été donnée récemment de leur travail collectif.
L’injustice faite aux victimes et aux patients, trop longtemps exposés aux risques d’un produit, doit être réparée. Mais on ne répare pas une injustice en en commettant une autre.

Je suis convaincu qu’au-delà de cette épreuve, les équipes de l’agence continueront de travailler au quotidien dans l’esprit de santé publique qui a toujours été le leur, notamment pour contribuer à préserver la continuité de la chaine pharmaceutique par la promotion et le contrôle de la qualité.

Et je leur dis, au moment de quitter l’agence, qu’elles peuvent et qu’elles doivent poursuivre leur tâche la tête haute.
Les enjeux ne vont pas manquer, même en s’en tenant aux seuls sujets couverts par ces ateliers nationaux de la qualité…

Et tout d’abord le grand défi que représente la sécurisation de la chaine pharmaceutique dans une époque de plus en plus globalisée.

La France a su construire une chaine pharmaceutique nationale structurée, marquée par la forte présence de la compétence pharmaceutique de la fabrication des matières premières jusqu’à la délivrance aux patients. Cette construction a notamment permis de nous protéger peut-être mieux que d’autres d’un péril comme la contrefaçon des médicaments, grâce aussi à un large accès au remboursement, ainsi qu’à un réseau de distribution très contrôlé du fabricant à l’officine en passant pour le grossiste répartiteur.

Mais aujourd’hui, la mondialisation rend la chaine pharmaceutique de plus en plus complexe et dispersée. Le déplacement de certains stades de la chaine vers des sites lointains, l’essor de la soustraitance, la multiplication des intermédiaires, rendent de plus en plus difficile la sauvegarde à la fois d’une traçabilité fiable et efficace des médicaments et du haut niveau de qualité et de sécurité qu’il faut pourtant continuer d’assurer aux patients et aux prescripteurs.
Les autorités sanitaires ont pris la mesure de ce défi dans les dernières années. Il est significatif qu’il soit désormais au coeur des discussions européennes mais aussi mondiales. A l’échelon européen nous avons tous à l’esprit le projet de directive sur la contrefaçon et la sécurité de la chaine pharmaceutique, qui sera sans doute prochainement adopté de façon définitive et qui ouvrira la voie à la mise en place à des nouveaux outils au service de la sécurité.

Mais l’enjeu a commencé également à être pris à bras le corps à l’échelon international, et je peux témoigner par exemple qu’il a été au coeur des discussions lors des derniers « sommets » annuels informels réunissant une vingtaine de chefs d’agence du médicament de tous les continents, auxquels j’ai participé depuis 2006 en tant que directeur général de l’Afssaps. Ces discussions ont permis de faire progresser le partage des informations et du travail entre les autorités sanitaires, notamment en matière d’inspection.

Mais ce défi ne pourra pas être relevé uniquement par l’action coordonnée des autorités sanitaires. Il faut aussi et d’abord que les firmes concernées et de plus en plus internalisées s’engagent résolument, vis-à-vis des autorités sanitaires, comme vis-à-vis du public, pour apporter toutes les garanties nécessaires de qualité sur l’ensemble de la chaine, par exemple au moyen d’audits systématiques de leurs fournisseurs et de contrôles sur place. Il faut également qu’au sein des firmes, l’ensemble des pharmaciens exercent pleinement leurs attributions par une vigilance accrue et par la mise en place de tous les outils nécessaires pour assurer la traçabilité qui doit permettre d’apporter sans faille les garanties d’origine d’un bout à l’autre de cette nouvelle chaine pharmaceutique.

Il faut aussi réfléchir aux solutions qui permettront de minimiser l’impact de facteurs de risque tels que la dépendance par rapport à un site unique de fabrication pour certaines matières premières ou pour certains médicaments sans alternatives thérapeutiques. Il faut encore approfondir l’impact des pratiques de quotas et de distribution parallèle, et veiller à ce qu’elles ne conduisent pas à des ruptures d’approvisionnement pour certains médicaments sur le territoire national comme cela a pu parfois être
le cas. Il faut enfin, et bien sûr, trouver des réponses appropriées pour maitriser l’essor des ventes en dehors du circuit pharmaceutique, qu’elles portent sur des produits contrefaits, des détournements de spécialités ou des ventes après mesures de retraits.

Dans cette démarche nécessaire de renforcement des garanties de sécurisation du côté des firmes, le pharmacien-responsable est et doit demeurer un acteur clé. Sa volonté, sa rigueur et son positionnement dans l’entreprise nationale ou multinationale doivent lui conférer la possibilité de contribuer à garantir efficacement la sécurité sanitaire et d’être un interlocuteur direct et privilégié des autorités sanitaires, comme cela est prévu dans les textes français et européens. C’est une exigence essentielle, et d’autant plus que - faut il le rappeler - la première responsabilité au titre des produits de santé, c’est celle du producteur lui-même. Il doit s’organiser de manière telle que ces produits présentent la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne portent pas atteinte à la santé des patients.
Or, force est de constater à partir de l’expérience actuelle de l’Afssaps, que dans certaines situations, le pharmacien-responsable n’est plus en mesure d’exercer librement et pleinement ce rôle. Nous constatons en effet l’émergence de situation où les instructions centralisées du siège mondial de l’entreprise aboutissent à des choix stratégiques qui ne laissent pas suffisamment de place aux considérations de sécurité sanitaire, notamment quant il s’agit de confier des activités en sous-traitance à des sites éloignés où toutes les garanties de maitrise pharmaceutiques ne sont pas réunies. Ces instructions aboutissent aussi parfois à retarder le passage nécessaire de l’information sur les défauts de qualité entre l’entreprise et les autorités sanitaires. L’Afssaps va saisir l’agence européenne (EMA) pour entamer une réflexion européenne sur ce sujet. Il va de soi que cette réflexion entre régulateurs devra faire la place d’une manière ou d’une autre à des échanges non seulement avec les responsables industriels mais aussi avec les professionnels de santé concernés, notamment en France l’Ordre des pharmaciens. Il s‘agit de faire comprendre, au-delà de nos frontières, la nécessité pour la sécurité sanitaire et l’intérêt pour les entreprises elles-mêmes de s’appuyer sur les prérogatives propres des pharmaciens-responsables ou autres personnes qualifiées.

Je souhaite aussi évoquer brièvement l’enjeu des systèmes d’information. En effet, le développement de ces systèmes élargit de plus en plus dans le monde la possibilité pour les personnes d’accéder à des données, mais aussi pour les entreprises de toucher directement les consommateurs. Cette évolution engendre des vulnérabilités nouvelles, mais d’un autre coté elle offre sur certains points des solutions nouvelles qui devraient permettre de mieux prendre en charge certains enjeux de sécurité
sanitaire.

L’accès direct au médicament ou aux produits présentés comme des médicaments tend aujourd’hui à se banaliser via internet, malgré les mises en garde répétées des autorités sanitaires contre l’absence de garanties de qualité et de sécurité des produits qui sont ainsi offerts. Certains opérateurs profitent de cette évolution et parfois en abusent, avec tous les risques que cela comporte pour la santé humaine.
L’Afssaps est fortement impliquée dans le combat nécessairement partenarial contre le développement anarchique de ces circuits et la menace de contrefaçon dont ils sont porteurs. Elle travaille en étroite liaison avec les services spécialisés de la police notamment l’OCLAESP et les douanes. Elle a d’ailleurs développé une politique d’achats de produits vendus sur internet en vu de les contrôler dans ses propres laboratoires. Elle saisit dans certains cas les autorités judiciaires pour faire cesser le fonctionnement de certains sites et susciter l’engagement de poursuite. Mais l’action des autorités publiques, là encore, doit être complétée et relayée par l’action des professionnels eux-mêmes, notamment pour proposer des solutions alternatives de sécurisation et de veille.

La traçabilité et le nouveau code CIP désormais obligatoire constituent une première étape dans le renforcement des contre-mesures. Mais des innovations comme le dossier pharmaceutique qui est progressivement mis en place dans les officines sous l’impulsion de l’Ordre des pharmaciens nous aideront à franchir des étapes supplémentaires. Leur utilisation pour le rappel des médicaments et des lots permettra en particulier d’améliorer la réactivité et l’efficience des mesures sanitaires que nous devons prendre très fréquemment. Les fabricants et les distributeurs doivent sans tarder prendre avec les pharmaciens et l’agence le tournant de l’utilisation du dossier pharmaceutique, moyennant les transitions qui sont nécessaires à la fois parce qu’il faut roder le nouvel outil et parce qu’il ne couvre pas encore toutes les pharmacies.

Enfin, comment ne pas évoquer dans le panorama actuel des enjeux de la qualité pharmaceutique le champ des biotechnologies. Au-delà de la pharmacie chimique traditionnelle, qui d’ailleurs ne disparait pas, l’utilisation des biotechnologies dans les thérapeutiques ne cesse d’ouvrir des perspectives nouvelles et parfois très prometteuses pour les patients. Mais elle confronte aussi les firmes comme les autorités sanitaires à de nouvelles exigences face auxquelles les uns comme les autres doivent se montrer à la hauteur. Il s‘agit notamment d’assurer de chaque coté la maintenance et l’adaptation des compétences nécessaires pour pouvoir prendre en charge les nouvelles exigences de fabrication d’évaluation, d’inspection et de contrôle en laboratoire de toutes les catégories très divers de produits issus des biotechnologies.

Sur l’ensemble des champs que je viens d’évoquer à grands traits, je ne doute pas que vos travaux d’ateliers de ces deux jours permettront de mieux partager l’analyse des enjeux dans un esprit de recherche de la meilleure qualité possible, et de faire émerger des pistes de réponse et d’amélioration que chacun devra ensuite concrétiser dans l’exercice de ses propres responsabilités.

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