15 Décembre 2010
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Une équipe de chercheurs de l’Université de Montréal et de l’Hôpital du Sacré-Coeur a mis en évidence un processus inflammatoire qui détruit des neurones dans le tronc cérébral après un infarctus. Les problèmes d’insomnie spécifiques qui en découlent auraient des effets néfastes sur la santé.
Décembre 2010 - Le spécialiste des neurosciences Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie de l'Université de Montréal, son collègue biochimiste Guy Rousseau et leur équipe du Centre de recherche de l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal ont trouvé une explication physiologique à l'insomnie qui accable, souvent, les personnes ayant subi un infarctus du myocarde. Leurs travaux, dont ils publient les résultats ce mois-ci dans le prestigieux journal scientifique SLEEP, révèlent en effet que l'accident cardiaque entraine, chez le rat, la destruction massive de neurones cholinergiques dans le tronc cérébral – la zone du cerveau qui régule le sommeil paradoxal. «Il y a de fortes chances que la même chose se produise chez l'humain», avance avec conviction Roger Godbout.
Les troubles du sommeil qui découlent de la mort de ces neurones peuvent non seulement nuire à la guérison après l'infarctus, mais aussi augmenter les risques de dépression et de nouvel accident cardiovasculaire. «Le sommeil paradoxal joue un rôle capital dans le contrôle des émotions, à travers le rêve notamment. Quand il est perturbé de cette façon, on entre dans un cercle vicieux, puisqu'on savait déjà que l'insomnie et la dépression sont des facteurs de risque cardiovasculaire majeurs», explique Roger Godbout.
Dans leur laboratoire de recherche sur le sommeil et le comportement animal, les chercheurs ont d'abord observé que, deux semaines après un infarctus, leurs rats avaient un «sommeil de dépressifs»: ils étaient insomniaques, mettaient du temps à s'endormir, se réveillaient souvent et tombaient rapidement en phase de sommeil paradoxal. Cependant, contrairement à ce qui se produit en général chez les dépressifs, la phase de sommeil paradoxal des rongeurs étaient moins longue. «On pourrait dire, pour simplifier, que ces rats rêvaient moins», propose le responsable du laboratoire.
Poussant plus loin ses recherches avec Guy Rousseau, professeur au Département de pharmacologie de l'UdeM, son étudiant Thierno Madjou Bah et d'autres collègues, Roger Godbout a voulu connaitre les raisons de ce sommeil dérangé. C'est ainsi qu'il a découvert les dégâts importants que l'infarctus causait dans le tronc cérébral.
«C'est un processus inflammatoire», indique le spécialiste des neurosciences du sommeil et de la santé mentale. Pendant l'infarctus, des protéines appelées cytokines sont libérées par les cellules du cœur en détresse et s'accumulent dans le sang. «Quand le cœur se remet à pomper, il charrie jusqu'au cerveau beaucoup de ces protéines, qui franchissent la barrière hématoencéphalique [la membrane qui sépare la circulation sanguine du cerveau] et intoxiquent les neurones.» Les cytokines endommagent le cerveau en déclenchant l'apoptose, un processus d'autodestruction des cellules.
Ce phénomène, l'équipe des professeurs Godbout et Rousseau l'avait déjà mis au jour dans d'autres zones du cerveau, entre autres dans le système limbique, révélant au passage le lien physiologique entre l'infarctus du myocarde et la dépression.
Le tandem va d'ailleurs de découverte en découverte depuis quelques années en suivant le même filon des effets de l'infarctus sur le comportement et le cerveau des rats. Tous les ans, depuis 2006, il publie de nouvelles Roger Godbout trouvailles. «Je gage une citrouille qu'en plus ils vont mal dormir», s'était dit Roger Godbout après avoir remarqué le lien entre l'infarctus et la dépression. Il avait vu juste, comme le démontre la nouvelle publication de son groupe.
L'importance de prévenir rapidement les dégâts
Les recherches se poursuivent. L'équipe tente maintenant de voir comment des rats d'âge mûr seront affectés par rapport aux jeunes rats de la dernière expérience. Les chercheurs veulent également savoir comment le vieillissement et les séquelles d'un infarctus agissent sur le cerveau à plus long terme.
«Déjà, on note que les rats plus âgés présentent, après l'infarctus, des déficits cognitifs précoces que les plus jeunes n'avaient pas dans les mêmes conditions», confie le professeur Godbout, précisant que ces problèmes sont comparables aux démences comme la maladie d'Alzheimer. «Ma gageüre, c'est qu'on verra un risque accru d'avoir non seulement des troubles de l'humeur, mais aussi des troubles cognitifs après un infarctus», lance le chercheur.
Cela souligne l'importance d'agir dès les premiers jours suivant un infarctus pour prévenir des dommages irréversibles. Avec des traitements pharmacologiques, par exemple, qui bloqueraient le processus destructeur que son équipe a mis en lumière. Il se dit confiant de trouver aussi des traitements comportementaux qui pourront limiter ces dégâts cognitifs et autres séquelles, en atténuant les troubles du sommeil chez une personne qui se relève d'un infarctus. Présence amicale, amour, jeux... autant de «bonheurs» dont il compte tester les bienfaits sur les rongeurs de son laboratoire.
D’autres recherches en cours
Puisqu'il dirige en outre le laboratoire sur le sommeil de l'hôpital Rivière-des-Prairies, l'énergique Roger Godbout compte se pencher parallèlement sur la façon dont les cytokines bouleversent le sommeil et la santé des enfants. Il faut savoir que ces protéines ne sont pas libérées en quantité qu'en cas d'infarctus: «Un stress chronique, caractéristique commune à la plupart des problèmes de santé mentale, pourrait être associé à des niveaux anormaux de cytokines et interférer avec le sommeil et l'équilibre psychologique», signale-t-il.