02 Décembre 2010
|Ou comment parvenir à allier soins et vie sociale au cœur même de la cité
Décembre 2010 – Collectivement, comment pouvons-nous soutenir le rétablissement des personnes aux prises avec un problème psychiatrique ? Comment favoriser la participation sociale de ces personnes et faire en sorte qu’elles soient reconnues comme des citoyens à part entière? Est-il possible de revoir le concept « d’hôpital psychiatrique » pour concentrer le savoir spécialisé au sein même de la collectivité? Voilà autant de questions que pose la psychiatrie citoyenne.
Courant naissant d’une révision profonde de la psychiatrie dans ses concepts et son organisation, la psychiatrie citoyenne défend la reconnaissance de la pleine citoyenneté des personnes souffrant de troubles psychiques. Jean-François Pelletier, chercheur et professeur associé à l’Université de Montréal et au Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine est un précurseur dans ce domaine au Canada. Il a mis sur pied un forum international sur ce thème en novembre dernier à Montréal pour promouvoir cette philosophie et réitère l’expérience en participant au premier Colloque de psychiatrie citoyenne qui se tiendra à Besançon les 6 et 7 décembre prochain.
Une philosophie
A notre époque post moderne, nous ne pouvons que constater que la maladie psychique est encore extrêmement mal appréhendée et que stigmatisation et discrimination font rage ; les politiques sécuritaires sont les seules proposées alors même que la psychiatrie traverse une crise gravissime par manque de moyens humains et financiers. La fermeture indispensable des anciens lits d’asile depuis une vingtaine d’années, non compensée par la création simultanée de structures alternatives adaptées, a entraîné l’abandon à eux mêmes d’un bon nombre de malades psychotiques laissés dans un isolement pathogène.
La psychiatrie citoyenne est une alternative à l’hôpital psychiatrique « qui ne soigne pas ». Le système actuel confond souvent prison et soins. L’idée est simple : traiter les malades au plus près de leur domicile, dans la Cité , hors de l’hôpital. Le malade est traité comme un citoyen ordinaire. Intégré dans un milieu normal, ces malades redeviennent « normaux », prennent moins de médicaments. Le principe consiste à mettre l’usager au centre du système de soins, de le rendre présent partout où il doit être partie prenante, de construire autour de ses besoins le dispositif qui permettra de le suivre dans tous ses états, dans toutes ses étapes.
La psychiatrie citoyenne ne se limite pas à un plaidoyer humaniste ni à la promotion d’une nouvelle enseigne pour la psychiatrie. Elle veut montrer la voie vers un changement profond du système de soins. Il s’agit de décloisonner les dispositifs existants, de ne pas en créer de nouveaux, d’intégrer la santé mentale dans la santé en général et la psychiatrie dans la médecine, développer un grand service public de santé mentale désaliénant et humaniste et enfin de promouvoir une psychiatrie de proximité avec le maximum de soins entraînant le moins d’hospitalisation possible, avec toutes les garanties pour les droits et devoirs de tous les citoyens. Car en aucun cas les troubles mentaux ne diminuent la citoyenneté !
Le pionnier de la psychiatrie citoyenne : Grégoire Ahongbonon, celui qui a détaché les enchaînés
Il n’est pas un éminent psychiatre, il n’a jamais fait d’études supérieures en psychiatrie et pourtant c’est lui qui a ouvert la voie à ce courant. Depuis 20 ans, il en est le plus fervent messager. Il traverse océans et continents pour parler de ses actions et de son association Saint-Camille-de-Lellis et porter un vrai message d’espoir.
Grégoire Ahongbonon est un ancien chauffeur de taxi béninois, immigré en Côte d’Ivoire qui après une très lourde dépression où seul un prête missionnaire lui a tendu la main et l’a aidé à remonter la pente, a compris, pour être passé de l’autre côté du miroir, que « ces fous », ces gens au comportement étrange qui errent dans les rues sont des hommes et des femmes ordinaires. Il dépasse ses propres peurs et préjugés et, aidé par sa femme, leur distribue, de nuit, de la nourriture. Puis dans un espace non utilisé de l’hôpital de Bouaké, il donne un toit à ces malades souvent atteints de problèmes de santé mentale qui auparavant étaient enchainés à l’extérieur des villages. Soutenus, ces malades récupèrent vite et à leur tour aident les malades suivants. L’initiative suscite l’intérêt du Ministre de la santé qui offre un local plus grand pour répondre au mieux aux besoins des malades. C’est ainsi que naît son Association. Grâce à des soutiens extérieurs, comme des étudiants en psychiatrie de l’Université de Montréal qui viennent l’aider dans sa tâche, à son acharnement à mettre en place des services et à combattre les préjugés sur la santé mentale, il a pu faire construire en Côte d’Ivoire 4 centres d’accueil pour héberger et soigner des malades mentaux, 3 centres de travail en vue de leur réinsertion et un hôpital en médecine générale. Depuis 2004, il commence à mettre en place le même type de services au Bénin : deux centres d’accueil (un troisième doit ouvrir ses portes en 2011) et deux centres de réinsertion. Autant en Côte d’Ivoire qu’au Bénin, les centres d’accueil sont débordés par le nombre de patients. Plus de 15,000 personnes sont estimés être passés par ces centres.
1er Colloque de psychiatrie citoyenne
Les 6 et 7 décembre 2010, organisé par Les Invités au Festin (IAF) porté par sa fondatrice Marie-Noëlle Besançon, se tiendra à Besançon, le premier Colloque citoyen et international de psychiatrie citoyenne sur le thème « La psychiatrie citoyenne : utopie ou réalisme ? »
http://www.lesinvitesaufestin.fr/
Ce colloque, alimenté du témoignage d’invités nationaux et internationaux de marque : Michael Rowe (Psychiatre, USA), Jean-François Pelletier (Politologue, université de Montréal), Grégoire Ahongbonon (Directeur Réinsertion, Côte-D'Ivoire), Helen Glover (Consultante Usagère, Australie), Vincent Girard (Psychiatre, Marseille), Nathalie Lagueux (Formatrice Usagère, Canada), Diane Harvey (Réhabilitation, Canada), John Jenkins (Réseau international de bonnes pratiques, UK), Jonathan Ahovi (Ethnopsychiatre France/Togo), Massimo Marsili (Psychiatre, France/Italie), Béatrice Uwambaje (Psychologue France/Rwanda) convie les professionnels du milieu hospitalier, les partenaires, les utilisateurs de services et leurs proches mais aussi les différents acteurs de la communauté vers une pratique de la psychiatrie dite « citoyenne ».