Malgré tous les progrès accomplis, près de trois millions de nouvelles infections surviennent par an dans le monde1 et nécessitent des traitements antirétroviraux à vie. Il est donc nécessaire de poursuivre les recherches dans le domaine de la prévention.
Les résultats publiés sur l’étude iPrEx dans le New England Journal of Medicine du 23 novembre sont la première preuve du concept que les antirétroviraux par voie orale peuvent être envisagés comme un outil additionnel de prévention destiné à réduire le risque d’infection VIH par voie sexuelle chez des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH).
L’ANRS s’apprête à lancer, à partir de 2011, un essai de prévention évaluant une autre modalité d’administration des antirétroviraux auprès des HSH.

Nous disposons aujourd’hui d’une palette d’outils de prévention ou de réduction des risques :
le préservatif masculin et féminin, les modifications des comportements, la connaissance de son statut sérologique à travers un dépistage régulier, le traitement des maladies sexuellement transmissibles (en particulier du virus de l’herpès HSV-2), la circoncision masculine, et pour les usagers de drogues les programmes d’échanges de seringues et les traitements de substitution… C’est la combinaison d’outils complémentaires qui permettra d’obtenir les meilleurs résultats et d’infléchir la courbe de l’épidémie.
La priorité de la recherche est d’ajouter à cet éventail des méthodes nouvelles, en particulier pour les groupes les plus exposés auprès de qui les stratégies de prévention restent insuffisamment efficaces. Une des stratégies les plus prometteuses actuellement repose sur l’utilisation des antirétroviraux chez des personnes non-infectées. Elles est appelée stratégie « Prophylaxie Pré-exposition » (PreP).

Des antirétroviraux comme moyen de prévention, c’est nouveau ?

La stratégie PreP repose sur des données scientifiques et médicales établies : les antirétroviraux sont utilisés avec succès pour réduire le risque de transmission du virus de la mère à l’enfant depuis 1994. Aujourd’hui ce risque est inférieur à 1% en France. Ils sont également employés pour réduire le risque d’être infecté en cas d’exposition accidentelle au virus (traitement d’urgence post-exposition). Par ailleurs, en ce qui concerne l’exposition sexuelle, des études expérimentales récentes chez le singe ont montré une bonne efficacité de ces traitements préventifs après inoculation du virus par voie sexuelle. Plus récemment, l’étude Caprisa 004, menée chez des femmes en Afrique du Sud, a été la première à démontrer une efficacité significative d’un gel microbicide à base de Tenofovir appliqué au niveau du vagin au moment des relations sexuelles

PreP : les essais en cours

Plusieurs essais ont été lancés depuis 2004 dans le monde pour démontrer la faisabilité, l’innocuité et évaluer l’efficacité de diverses stratégies utilisant le TDF (Viread®) ou la combinaison TDF/FTC (Truvada®), sous forme de comprimés et/ou sous forme d’application locale (gel). Ces molécules ont peu d’effets secondaires et il existe des données plutôt rassurantes sur leur innocuité à long terme et sur leur profil de résistance chez les personnes vivant avec le VIH.

Ces essais de prévention sont menés à grande échelle (phases II et III), et ont enrôlé plus de 20.000 participants. Ils reposent sur l’administration quotidienne (1 prise par jour) de molécules par voie orale et/ou par voie locale (gels) à des groupes très exposés :
- hommes hétérosexuels et femmes vivant dans les régions de forte prévalence
- couples séro-différents (l’un des deux est infecté par le VIH)
- usagers de drogues par voie intraveineuse
- hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH).
La diversité de ces groupes est importante car les modes et les mécanismes de transmission y sont différents et posent des questions très spécifiques.

L’essai iPrEx : principaux résultats

L’essai iPrEx, dont les résultats sont publiés aujourd’hui dans le new England Journal of Medicine concerne des hommes et des transgenres ayant des relations sexuelles avec des hommes. Cet essai randomisé a été mené sous l’égide des NIH, avec le financement de la Fondation Gates. Il s’est déroulé à partir de 2004 au Pérou, au Brésil, en Equateur, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et en Thaïlande. 2.499 personnes ont accepté d’y participer et ont pris chaque jour un traitement oral : Truvada ou placebo. Il démontre que le risque d’infection est réduit de 44% (dans un intervalle de confiance de 15 à 63%) chez les hommes ayant pris le Truvada. Ce niveau est très proche de la protection observée dans l’essai Caprisa 004. Les études pharmacologiques dosant la présence ou l’absence du Truvada dans le sang chez ceux qui ont sont censés le prendre, montrent que cette efficacité est directement liée à la molécule : quand le médicament est détectable dans le sang, la réduction du risque est de 92% (IC : 40-99%), suggérant le rôle fondamental de l’adhérence au traitement. La tolérance au traitement a été globalement satisfaisante et il n’a pas été observé de sélection de résistance parmi les sujets contaminés au cours de l’essai alors qu’ils recevaient le Truvada. Enfin, point essentiel : la prise de médicaments n’a pas modifié les comportements dans le sens d’une exposition accrue au risque. Au contraire, les hommes de cet essai ont réduit leur exposition au risque sexuel par rapport à la période précédant leur entrée dans l’étude.

Vers un essai franco-québecois de PreP intermittent

L’ANRS prépare depuis plusieurs mois, un essai de PreP chez les HSH en France. En effet, parmi les 6.000 nouvelles contaminations observées en France chaque année, une population significative concerne les HSH. Les résultats de IpreX mettent en avant le rôle de l’adhérence au traitement. L’essai en préparation à l’ANRS porte sur un schéma de traitement intermittent, à la demande, lorsque la personne prévoit une activité sexuelle dans les heures suivantes. Cette stratégie de traitement intermittent paraît a priori plus proche d’une utilisation réelle, susceptible d’augmenter l’adhérence, d’améliorer la tolérance et de réduire les coûts que générerait un traitement en continu. Le protocole de l’essai va maintenant être rediscuté au vu des résultats de iPrEx et devrait démarrer dans les six prochains mois, après évaluation.

L’essai est élaboré en lien avec le milieu communautaire et associatif. Le groupe interassociatif TRT-5 et l’association AIDES y participent. TRT-5 a mené une consultation auprès de représentants associatifs de la lutte contre le VIH/sida et gay/LGBT (Communautés lesbiennes, gays, bi et transgenres) afin d’informer et de recueillir les avis, les remarques et les commentaires sur ce type d’approche. AIDES travaille à l’élaboration du plan de suivi et de conseil (counselling) qui accompagnera les participants de l’étude.

L’essai de l’ANRS s’inscrit dans les priorités du plan national de lutte contre le sida du ministère de la Santé et dans les recommandations du Groupe d’experts « Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH » dirigé par le Pr Patrick Yéni, qui incitent à des approches innovantes de réduction des risques chez les HSH.

Une grande avancée de la recherche, mais sans conséquences immédiates en santé publique

Les résultats de iPrEx sont la première preuve du concept que les antirétroviraux par voie orale peuvent être envisagés comme un outil additionnel de prévention destiné à réduire le risque d’infection par voie sexuelle chez des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Ce concept doit être maintenant validé dans de nouvelles approches, comme celle proposée par l’ANRS, et auprès d’autres populations. Les résultats de plusieurs études sont attendus à partir de 2011 et devraient apporter des réponses utiles pour les femmes, les hommes hétérosexuels et les usagers de drogues.

De nombreuses questions sont sans réponse : quelle est l’efficacité à long terme de ces stratégies ? Quelle sera l’adhérence au-delà de la fin de l’étude ? Peut-il y avoir apparition de résistances du virus aux antiviraux ? Quel impact cette stratégie pourrait-elle avoir sur les comportements sexuels dans la « vraie vie » ? Quel impact sur les autres infections sexuellement transmissibles ? Quel est le rapport coût-efficacité de ces stratégies ?

En tout état de cause, cet essai est une grande avancée scientifique qui conforte les progrès réalisés ces dernières années dans le domaine de la prévention, au service de tous les groupes très exposés à l’infection, ici et ailleurs. Mais un seul essai ne peut suffire à recommander dès à présent d’ajouter la PreP à l’arsenal préventif.

1 Rapport Onusida 2008

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