Le mercredi 4 novembre 2015, un débat intitulé « Maladie infectieuses ré-émergentes : enjeu de santé publique ou de sécurité nationale ? » s’est tenu à la Maison des Polytechniciens à Paris. Cette table ronde s’est s’appuyée sur les exemples de la variole et de la récente gestion de la crise Ebola, pour essayer d’éclaircir la manière dont les Etats se préparent pour faire face aux menaces que constituent les maladies infectieuses ré-émergentes pour les populations et les sociétés en général.

La table-ronde était animée par Axel Lambert de Rouvroit, consultant en sécurité sanitaire auprès de l’OMS et de la Commission européenne, et réunissait trois intervenants :

  • Andrew C. Weber, Coordinateur adjoint pour la réponse Ebola au Département d'État des Etats-Unis, et ancien Secrétaire adjoint à la Défense pour la sûreté nucléaire, chimique et biologique sous la présidence de Barack Obama
  • Mario Faure, Président de l’Union des Associations d’Auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (UNION-IHEDN)

· Patrick Zylberman, Professeur titulaire de la chaire d’histoire de la santé à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP)

Du risque stratégique à la menace bioterroriste : la variole, « arme furtive par excellence »

Le Professeur Zylberman a rappelé les conséquences que la crise Ebola a pu avoir sur les structures étatiques des pays concernés par le virus en parlant de « structures publiques en ruine ». Il a rappelé la théorie de la dissuasion by denial développée par Sam Nunn en 2001 : il s’agit pour un Etat, dans l’éventualité d’une menace bioterroriste, de préparer en amont de celle-ci un plan de réponse afin de « frustrer et décourager les terroristes ». Aujourd’hui nos sociétés doivent faire face à un contexte international plutôt favorable aux menaces bioterroristes, et il est donc de la responsabilité des Etats de tout mettre en œuvre pour protéger leur population.

« S’agissant du cas de la variole, c’est, a-t-on dit, l’arme furtive par excellence. Le virus a été officiellement déclaré éradiqué à l’échelle globale en 1980. Plus de trente ans après le début des discussions à Genève, les échantillons de virus de la variole conservés aux Etats-Unis et en Russie n’ont toujours pas été détruits. Si la variole était réintroduite sur le territoire, ce ne pourrait être que de manière criminelle», a expliqué le Professeur Zylberman. Il a ainsi indiqué que la révision du Plan variole conseillée par le Haut Conseil de la santé publique en décembre 2012 était conditionnée à la mise sur le marché de vaccins non-réplicatifs[1] dits de troisième génération, destinés aux intervenants de première ligne[2]. La vaccination généralisée de la population n’est pas conseillée par le HCSP.

La révision du plan variole : le « triangle des Bermudes décisionnel »

M. Faure a mis l’accent sur deux aspects entourant la révision du plan variole français : le processus décisionnel et la balance coûts/bénéfices d’une telle révision. Après avoir rappelé que les autorités étatiques ne souffrent aucunement d’un déficit de réflexion au niveau interministériel et d’avis d’experts sur le sujet, M. Faure a indiqué que, s’agissant de la révision du plan variole, la démarche administrative est régulière et classique, mais qu’aucune décision politique n’a encore été prise.

« La révision du plan variole est un cas typique de ce que je nomme le triangle des Bermudes décisionnel. Il est de la responsabilité des Etats de prendre la décision de constituer un stock de vaccins modernes afin de protéger leurs populations face à l’éventualité d’une menace bioterroriste. Les Etats sont les seuls clients susceptibles d’acheter ce type de vaccins. Dans la mesure où les règles de l’économie de marché ne s’appliquent pas à ce type de commandes, les Etats se doivent de s’assurer que les laboratoires les ayant développés puissent continuer à en produire », a souligné M. Faure.

Au regard du coût très modique que représente la constitution d’un stock de 250 000 doses du vaccin de troisième génération recommandé par le HCSP, M. Faure a rappelé qu’un tel stock permettrait à la France de se doter d’une capacité de dissuasion efficace face à la menace variolique, ce qui découragerait assez logiquement toute action malintentionnée à l’encontre du pays. L’équivalent du coût d’« un ou deux chars Leclerc » permettrait ainsi à la France de protéger sa population, et particulièrement les jeunes générations qui elles ne sont pas vaccinées.

Les maladies infectieuses ré-émergentes : un problème d’ordre mondial

M. Weber a introduit son propos en partageant sa longue expérience dans la lutte contre les proliférations nucléaires, chimiques et bactériologiques au sein du Département d’Etat des Etats-Unis. Cela l’a amené à insister sur deux points fondamentaux concernant la menace bioterroriste :

· le contexte international actuel en fait une menace réelle et immédiate,

· la nécessité d’une concertation internationale pour s’y préparer et s’en prémunir

M. Weber a rappelé que nous avons une connaissance historique des pays étant capables et désireux de développer des arsenaux chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN) à l'échelle industrielle. Cette connaissance s’ajoute au progrès technologique et à la présence des groupes comme Daesh ou encore Al-Qaïda. Il a rappelé que Daesh contrôle aujourd’hui de vastes territoires, ce qui lui donne potentiellement accès à d'importants matériaux, des hôpitaux, des universités, et des laboratoires ; parallèlement, ce groupe cherche de plus en plus à séduire et à cibler des recrues ayant des compétences en biologie et en chimie.

« S’appuyant sur l’exemple de la gestion de la crise Ebola, nous constatons la nécessité de constituer des partenariats interétatiques face à ce type de menace en favorisant en amont des stratégies communes pour s’y préparer. En ce qui concerne la variole, les Etats-Unis ont aidé à financer le développement d'un nouveau vaccin et ont constitué un stock suffisant pour faire face à la menace que constitue ce virus. J’aimerais encourager les autres Etats à coordonner ce type d’initiatives afin d’être préparés, car il est dans l'intérêt de tous, qu'il y ait un stock mondial de ce type de vaccins », a souligné M. Weber. « Malheureusement, il n'y a aucune circonscription électorale pour ces types de décisions politiques. Cependant, quand il s’agit du bioterrorisme, les enjeux ne respectent ni les lignes politiques, ni les domaines de compétences des différents ministères », a-t-il ajouté.

En conclusion de ce débat, les trois intervenants se rejoignent sur la nécessité de réviser le plan variole français actuel sur la base des recommandations formulées par le HCSP. Cette nouvelle stratégie, basée sur les vaccins de dernière génération à destination des intervenants de première ligne, permettrait d’assurer la sécurité et les infrastructures sanitaires du pays. Une telle stratégie permettrait une réponse rapide et efficace en cas d’épidémie, et constituerait ainsi une importante forme de dissuasion.

Les défis entourant la mise en œuvre de l'avis du HCSP, confirment la complexité de la prise de décision lorsqu’il s’agit d’une maladie ayant un taux de mortalité important, et un impact considérable tant en matière de santé publique que de sécurité nationale. Les intervenants sont arrivés à la conclusion qu’il était nécessaire qu’une décision au plus haut niveau de l’Etat soit prise afin d’assurer le financement et la mise en œuvre de la révision du plan variole.

Avis du Haut conseil de Santé publique

21/12/2012

Le HCSP recommande la révision du plan variole 2006, en tenant compte :

- du niveau de risque « variole » terroriste. Sans doute extrêmement faible, ce risque est difficile à apprécier. L’impossibilité d’estimer la probabilité d’occurrence d’une attaque bioterroriste utilisant le virus de la variole, rend difficile au stade actuel l’établissement de la balance bénéfices-risques des différentes options en termes de mobilisation de ressources ;

- des impératifs de notre société de préparation aux risques sanitaires, du principe de précaution, mais aussi des principes de réalité en termes de faisabilité et d’application des moyens et des contraintes financières ;

- de la baisse de l’immunité antivariolique résiduelle des équipes nationales immunisées et de la population vaccinée vieillissante, et de l’absence totale d’immunité chez les moins de 35 ans, les rendant plus sensibles au virus de la variole mais aussi aux complications des vaccins de 1ère génération ;

- et surtout des progrès espérés des vaccins de 3e génération, mieux tolérés, et d’un traitement antiviral potentiellement actif, qui doivent modifier de façon importante les stratégies préconisées dans le Plan variole 2006.

Ainsi, compte tenu des risques d’évènements secondaires et de la fréquence des contre-indications liés aux vaccins de 1ère et de 2e génération, le Haut Conseil de la santé publique préconise une stratégie basée essentiellement sur les vaccins de 3e génération et les antiviraux dès lors que ceux-ci seront réglementairement utilisables.

Source : http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=318

 



[1] Un vaccin ne se répliquant pas dans les cellules humaines, dans l’objectif d’éviter les effets secondaires graves associés aux anciens vaccins, utilisés pendant la campagne d’éradication.

[2] Des équipes de professionnels de santé vaccinés se déclinant aux niveaux national, zonal et départemental selon les différentes phases du Plan

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