| 13 Juin 2013
 L’adaptation du droit à l’évolution du monde professionnel n’est pas un mythe : c’est une réalité autant qu’une nécessité.
L’adaptation du droit à l’évolution du monde professionnel n’est pas un mythe : c’est une réalité autant qu’une nécessité.
Par Guillaume Cairou : Président de la Fédération Européenne du Portage Salarial et Benjamin Kantorowicz : Expert droit social de la Fédération Européenne du Portage Salarial, auteur de l'ouvrage de référence sur le portage salarial aux éditions lexisnexis
Imaginé  par les acteurs du monde du travail, le portage salarial désigne un  mode d’organisation du travail qui permet à un professionnel d’exécuter  une mission dans une entreprise en toute indépendance tout en  bénéficiant du statut de salarié. Il contribue à repousser les  frontières du salariat et favorise la protection des travailleurs. 
Prenant  acte des revendications formulées par les entreprises de portage, le  législateur a   entendu légaliser  le portage salarial. L’adoption de la  loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du  travail a permis d’en intégrer une définition à l’article L.1251-64 du  Code du travail.
L’absence de règles précises a encouragé la  conclusion d’un accord professionnel en date du 24 juin 2010 ayant pour  objectif d’encadrer la pratique du portage salarial. Par arrêté du 24  mai 2013 publié au journal officiel, cet accord a fait l’objet d’une  extension partielle. Cette extension se devait d’être saluée. Elle  permet d’offrir au portage salarial un cadre juridique indispensable à  son application. Toutefois, cette extension ne peut pas donner  pleinement satisfaction. Des incertitudes d’ordre juridique et  économique demeurent. 
D’une part, l’arrêté exclu le recours au contrat à durée déterminée sui generis qu’il considère comme contraire aux dispositions de l'article L. 1242-2  du Code du travail. Le recours au contrat à durée déterminée à objet  défini semble, quant à lui, être admis. Or, sa conclusion est  subordonnée à l’existence d’un accord de branche étendu ou d’un accord  d’entreprise définissant les nécessités économiques permettant le  recours aux CDD à objet défini. Les difficultés liées à la conclusion de  tels accords rendent hypothétique l’utilisation du CDD à objet défini  dans le cadre du portage salarial.
En pratique, le recours au contrat  à durée indéterminée semble être l’unique voie admise. Si le CDI est  utilisé dans les entreprises de portage salarial, la généralisation de  ce recours supporte deux critiques. En premier lieu, il ne correspond  pas à l’esprit du travail par missions. En second lieu, la conclusion  d’un contrat à durée indéterminée semble incompatible avec l’obligation  prétorienne qu’a l’employeur de fournir du travail à ses salariés. En  effet, le terme de la mission ne signifie pas la fin du contrat de  travail. Celui-ci se poursuit alors même que le porté  est susceptible  de n’exercer aucune activité. 
D’autre part, l’accord du 24 juin  2010 restreint l’accès au portage salarial aux seuls cadres bénéficiant  d’une rémunération, hors indemnité d’apport d’affaires, fixée au minimum  à 2.900 euros bruts mensuels pour un emploi à temps plein. Réserver  l’accès au portage salarial aux seuls cadres n’est pas sans poser de  difficultés. Cela conduit à écarter de ce marché de nombreux porteurs et  portés. Une telle éviction pourrait être considérée par les entreprises  de portage comme une atteinte à la liberté d’entreprendre, corollaire  du principe de liberté, reconnu par l’article 4 de la Déclaration des  droits de l’homme et du citoyen du 16 août 1789. Le droit pour chacun  d'obtenir un emploi pourrait également être invoqué par les travailleurs  portés. Enfin, l’exclusion des salariés non-cadres, serait de nature à  constituer une violation du principe d’égalité de traitement. Rappelons  que l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait conclu à  l’impossibilité d’étendre l’accord du 24 juin 2010 à cette catégorie de  salariés en raison « notamment du périmètre d’application juridique de l’accord réservant cette activité aux cadres ». 
L’accord  du 24 juin 2010 prévoit une période transitoire de deux ans « à compter  de l’entrée en application de l’accord » pour « rendre progressive » la  mise en conformité des entreprises de portage salarial aux dispositions  dudit accord mais également pour permettre la réalisation d’un « bilan »  sur la « base d’un examen des situations réelles d’exercice du portage  salarial ». Un bilan ne pourra que démontrer que la délimitation du  portage aux seuls cadres est lourde de conséquences.
La question de la délimitation du portage aux cadres fait l’objet de débats. Pour certains auteurs, l’ouverture (légale) du portage à tous types d’activités risque d’engendrer un développement inconsidéré de cette pratique. Il est à craindre une multiplication des salariés portés et ainsi une explosion des dépenses liées au versement des allocations chômage. Pourtant, l’ouverture du portage aux non cadres revêt un intérêt tant économique qu’humain. 54% du marché actuel du portage salarial concerne des non-cadres. Certains métiers non-cadres comme les traducteurs, sont historiquement rattachés au portage. Les entreprises de portage salarial seront dans l’obligation de licencier des milliers de salariés. Dès lors, il convient de prendre en compte les pratiques des entreprises de portage salarial afin de ne pas limiter injustement l’accès à ce mode d’organisation du travail. La Fédération européenne du portage salarial appelle à l’ouverture du portage aux non-cadres. L’adaptation du droit à l’évolution du monde professionnel n’est pas un mythe : c’est une réalité autant qu’une nécessité.









