altL’adaptation du droit à l’évolution du monde professionnel n’est pas un mythe : c’est une réalité autant qu’une nécessité.

Par Guillaume Cairou : Président de la Fédération Européenne du Portage Salarial et Benjamin Kantorowicz : Expert droit social de la Fédération Européenne du Portage Salarial, auteur de l'ouvrage de référence sur le portage salarial aux éditions lexisnexis

Imaginé par les acteurs du monde du travail, le portage salarial désigne un mode d’organisation du travail qui permet à un professionnel d’exécuter une mission dans une entreprise en toute indépendance tout en bénéficiant du statut de salarié. Il contribue à repousser les frontières du salariat et favorise la protection des travailleurs.

Prenant acte des revendications formulées par les entreprises de portage, le législateur a entendu légaliser le portage salarial. L’adoption de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail a permis d’en intégrer une définition à l’article L.1251-64 du Code du travail.

L’absence de règles précises a encouragé la conclusion d’un accord professionnel en date du 24 juin 2010 ayant pour objectif d’encadrer la pratique du portage salarial. Par arrêté du 24 mai 2013 publié au journal officiel, cet accord a fait l’objet d’une extension partielle. Cette extension se devait d’être saluée. Elle permet d’offrir au portage salarial un cadre juridique indispensable à son application. Toutefois, cette extension ne peut pas donner pleinement satisfaction. Des incertitudes d’ordre juridique et économique demeurent.

D’une part, l’arrêté exclu le recours au contrat à durée déterminée sui generis qu’il considère comme contraire aux dispositions de l'article L. 1242-2 du Code du travail. Le recours au contrat à durée déterminée à objet défini semble, quant à lui, être admis. Or, sa conclusion est subordonnée à l’existence d’un accord de branche étendu ou d’un accord d’entreprise définissant les nécessités économiques permettant le recours aux CDD à objet défini. Les difficultés liées à la conclusion de tels accords rendent hypothétique l’utilisation du CDD à objet défini dans le cadre du portage salarial.
En pratique, le recours au contrat à durée indéterminée semble être l’unique voie admise. Si le CDI est utilisé dans les entreprises de portage salarial, la généralisation de ce recours supporte deux critiques. En premier lieu, il ne correspond pas à l’esprit du travail par missions. En second lieu, la conclusion d’un contrat à durée indéterminée semble incompatible avec l’obligation prétorienne qu’a l’employeur de fournir du travail à ses salariés. En effet, le terme de la mission ne signifie pas la fin du contrat de travail. Celui-ci se poursuit alors même que le porté est susceptible de n’exercer aucune activité.

D’autre part, l’accord du 24 juin 2010 restreint l’accès au portage salarial aux seuls cadres bénéficiant d’une rémunération, hors indemnité d’apport d’affaires, fixée au minimum à 2.900 euros bruts mensuels pour un emploi à temps plein. Réserver l’accès au portage salarial aux seuls cadres n’est pas sans poser de difficultés. Cela conduit à écarter de ce marché de nombreux porteurs et portés. Une telle éviction pourrait être considérée par les entreprises de portage comme une atteinte à la liberté d’entreprendre, corollaire du principe de liberté, reconnu par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 16 août 1789. Le droit pour chacun d'obtenir un emploi pourrait également être invoqué par les travailleurs portés. Enfin, l’exclusion des salariés non-cadres, serait de nature à constituer une violation du principe d’égalité de traitement. Rappelons que l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait conclu à l’impossibilité d’étendre l’accord du 24 juin 2010 à cette catégorie de salariés en raison « notamment du périmètre d’application juridique de l’accord réservant cette activité aux cadres ».

L’accord du 24 juin 2010 prévoit une période transitoire de deux ans « à compter de l’entrée en application de l’accord » pour « rendre progressive » la mise en conformité des entreprises de portage salarial aux dispositions dudit accord mais également pour permettre la réalisation d’un « bilan » sur la « base d’un examen des situations réelles d’exercice du portage salarial ». Un bilan ne pourra que démontrer que la délimitation du portage aux seuls cadres est lourde de conséquences.

La question de la délimitation du portage aux cadres fait l’objet de débats. Pour certains auteurs, l’ouverture (légale) du portage à tous types d’activités risque d’engendrer un développement inconsidéré de cette pratique. Il est à craindre une multiplication des salariés portés et ainsi une explosion des dépenses liées au versement des allocations chômage. Pourtant, l’ouverture du portage aux non cadres revêt un intérêt tant économique qu’humain. 54% du marché actuel du portage salarial concerne des non-cadres. Certains métiers non-cadres comme les traducteurs, sont historiquement rattachés au portage. Les entreprises de portage salarial seront dans l’obligation de licencier des milliers de salariés. Dès lors, il convient de prendre en compte les pratiques des entreprises de portage salarial afin de ne pas limiter injustement l’accès à ce mode d’organisation du travail. La Fédération européenne du portage salarial appelle à l’ouverture du portage aux non-cadres. L’adaptation du droit à l’évolution du monde professionnel n’est pas un mythe : c’est une réalité autant qu’une nécessité.


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