L'Atalante -  septembre 2012
208 p. - 14.50 euros
ISBN 9782841726059

Toute notre vie, il nous faut prendre des décisions concernant notre santé ou celle de nos proches. Comment opérer ces choix ? Anticiper ou non, se faire dépister, opter pour tel traitement, se faire surveiller lorsque l’âge vient… autant de dilemmes pratiques, à l’heure où les injonctions se multiplient, dans un contexte où l’économie dicte sa loi.

Véronique Guienne explore ces questions à travers ses observations du milieu hospitalier et l’analyse des controverses médicales et des débats publics. L’ambivalence des patients, les doutes thérapeutiques des médecins, les règles quant aux normes médicales et gestionnaires, l’opacité des options en matière de santé publique… Une part d’autonomie est-elle possible dans nos prises de décision ?

Cette sociologie engagée invite à inventer, chacun à son échelle, une vie personnelle plus réfléchie et lucide de même qu’une vie collective plus juste et solidaire.

La polémique actuelle est fondée, mais caricature des questions plus complexes

1. Rappel de la polémique « Octobre rose »
Pour certains, nous serions dans des logiques marchandes, avec de puissants intérêts en jeu (industries pharmaceutiques, lobby des radiologues, commercialisation des prothèses en tout genre (capillaires, mammaires…), voire produits dérivés à l’occasion de la campagne « Octobre rose ». Cette campagne ne reposerait pas véritablement sur de l’information, occulte les controverses, et fait du matraquage, voire de la propagande. (UFC Que Choisir). On joue sur la peur, angoissant toute la population, en l’occurrence les femmes de plus de cinquante ans.
Pour d’autres, — il est rappelé que les plus pauvres sont celles se faisant le moins dépister —, on est dans un cadre de réduction des inégalités de santé. Il faudrait communiquer sur le fait que la plupart des cancers détectés sont guéris. Il se développerait à l’occasion de ces campagnes de vrais espaces d’information répondant aux questions légitimes des femmes et de leurs proches (Inca, Curie, informations publiques médicales…).

2. Trois problèmes de nature différente méritent d’être distingués :
Les maximes de « bon sens »  s’avèrent dangereuses, en tout cas mutilantes.
« Intervenir plus tôt, c’est mieux », « mieux vaut prévenir que guérir », etc… Ces maximes, vécues comme « allant de soi », peuvent être opposées à de véritables études cliniques qui pèseraient le pour et le contre. Pour le cancer du sein chez la femme comme pour celui de la prostate chez l’homme, les controverses médicales discutent l’intérêt d’une intervention très invasive, intrusive alors qu’on ne sait pas comment va évoluer la tache suspecte ou le taux suspect : cela peut régresser, se stabiliser, se développer extrêmement lentement, en particulier dans le cas de sujets âgés. Aussi, compte tenu de ce que représente la violence de ces interventions, la question n’est pas d’agir le plus tôt possible, mais d’avoir suffisamment d’informations pour estimer s’il vaut mieux agir ou s’abstenir.

Le problème du dépistage n’est pas qu’il existe mais l’engrenage auquel il conduit. Même ceux dont le métier est de faire des opérations mammaires se décrivent comme étant, d’une certaine manière, en « bout de chaîne ». Lorsqu’à la mammographie a été détectée une image suspecte, que la biopsie est faite, que la confirmation que les tissus sont cancéreux a été établie, l’opération est vécue par tous comme logique et incontournable. C’est cet engrenage qui est dangereux. Il n’y a plus de véritable travail clinique, diagnostique, de la part du médecin, ni de discussion possible pour le patient, bien que la loi stipule son nécessaire consentement.

Enfin, le troisième problème est celui des coûts, qui renvoie à une question de santé publique et de choix de prise en charge par la société. Le risque d’une controverse de ce type, au moment où l’on cherche par tous les moyens à faire des économies, est bien entendu celui de la suppression des remboursements. Mais une vraie question de santé publique ne peut se limiter à la décision de rembourser ou non ; elle doit indiquer dans quel secteur il serait le plus judicieux, le plus légitime, d’investir de l’argent public. La controverse montre que le choix actuel est pour le moins discutable, que cet activisme radiographique et chirurgical peut être sujet à caution. Il est d’autres inégalités sociales de santé flagrantes, comme l’accès aux soins (et prothèses là aussi) dentaires et oculaires. Ce sont des actes peu pris en charge, qui sont pourtant des marqueurs sociaux puissants, déterminant des capacités d’apprentissage, d’accès à l’emploi, de type de socialisation. Ces controverses nous engagent  à dépasser un choix binaire, pour ou contre le dépistage ; elles montrent la nécessité d’engager des débats publics concernant notre politique de santé, son mode d’organisation, ses priorités, la place du patient, non seulement cible d’une « campagne », mais sujet pouvant faire des choix individuels et collectifs.

Véronique Guienne
Professeur de sociologie, Université de Nantes
Dernier ouvrage paru, « Nos choix de santé, dilemmes et controverses », L’Atalante, 2012
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