16 Juin 2021
| Deuxième cause de décès par accident de la vie courante, la dysphagie, ou trouble de la déglutition, touche prêt de 10 millions de personnes en France tous âges confondus. Cette pathologie dégrade les capacités de déglutition des personnes touchées et les prive partiellement ou totalement de leur capacité à s’alimenter ou à boire de manière classique. Leur mode d’alimentation et d’hydratation nécessite d’être réinventé afin d’éviter des problématiques sous-jacentes telles que la dénutrition, la déshydratation, l’obstruction des voies aériennes ou encore des pneumonies d’aspiration.
Pourtant très fréquente, cette pathologie reste mal connue et très peu dépistée. Quelles sont les mesures et solutions actuelles mises en place pour une prise en charge adéquate de ces troubles ? Le mois de juin étant le mois de la dysphagie, il devient impératif de sensibiliser le grand public à cette pathologie.
Manger : un acte convivial condamné ?
Acte social par excellence, le repas est aujourd’hui bien plus qu’une activité « biologique ». C’est une occasion de rencontres, de cohésion de groupe, parfois même un métier. Quand cette fonction se trouve altérée, non seulement l’acte de « se nourrir » est impacté, mais également toutes les activités et les instants sociaux autour du repas.
Comme le précise Michel Guatterie, expert des troubles de la déglutition, « quand cette fonction naturelle et culturelle ne peut plus se faire en sécurité, le patient fait l'expérience douloureuse du handicap physique et social » . Le repas devient ainsi une épreuve difficile à partager tant il peut être douloureux d’avaler, gênant de tousser à chaque bouchée et risqué de s’étouffer.
Nombreuses sont les personnes vivant au quotidien avec ces troubles sans pouvoir lui donner un nom et bénéficier d’une prise en charge adaptée. Certains vivront avec pendant plusieurs années avant d’obtenir un examen complet permettant d’identifier cette pathologie et de disposer d’une prescription de prise en charge par les professionnels du domaine.
Comment repérer la pathologie et quelles solutions pour la prise en charge de celle-ci ?
Parfois, l’étape de déglutition s’accompagne d’une gêne, de douleurs et d’une sensation d’oppression thoracique ou d’étouffement régulière ou systématique. Ce sont des signaux d’alarmes qui doivent pousser à la consultation d’un médecin lorsque ceux-ci persistent. Non seulement parce qu’il peut induire une réduction de l’alimentation et donc du maintien des fonctions vitales, mais aussi parce qu’il peut être l’expression de maladies devant être traitées.
L’identification des causes et le diagnostic requièrent une collaboration pluridisciplinaire impliquant : gastroentérologue, neurologue, ORL ou encore gériatre. L’orthophoniste, quant à lui, est généralement référent pour la réalisation de bilans de déglutition complets prenant en compte le patient dans toutes ses dimensions. Celui-ci pourra recommander des traitements d’ordre chirurgicaux, orthophoniques ou encore diététiques afin de contribuer à un équilibre optimal entre sécurité et qualité de vie. En dehors de l’acte chirurgical, des méthodes de rééducation aideront le patient, lorsque cela est possible, à récupérer tout ou une partie de ses capacités, ou tout simplement à mettre en place des postures ou des pratiques qui faciliteront l’étape délicate de la déglutition. Dans chacun de ces cas, cet accompagnement devra être couplé à une adaptation nutritionnelle.
La prise en charge étant pluridisciplinaire, d’autres professionnels paramédicaux tels que kinésithérapeutes, ergothérapeutes ou encore infirmiers ayant suivi une formation spécifique aux troubles de déglutition pourront également intervenir auprès des sujets concernés.
De l’importance de la prise en charge nutritionnelle
Il est indispensable de mettre en place des solutions permettant d’apporter à l’organisme l’énergie qui lui est nécessaire et de le protéger des risques potentiels. Pour ceux conservant la possibilité d’une alimentation par la bouche, une nutrition et hydratation adéquate par l’adaptation des textures des aliments et des boissons aux capacités de déglutition des patients peut être maintenue. Ceci dans l’objectif de sécuriser et d’entretenir les capacités de déglutition encore fonctionnelles et d’éviter le déclin de celles-ci. Chaque cas étant unique, il est recommandé de « personnaliser » les textures afin de maintenir les compétences fonctionnelles actives.
L’étude des usages et des procédures à travers le monde met en évidence que ce principe est bien développé dans certains pays comme au Japon, aux USA ou encore en Australie. En effet, la bibliographie relate des diversités de textures appliquées selon les capacités de déglutitions et l’offre industrielle est développée en ce sens. Cependant, dans de nombreux pays tels que la France, ces méthodes sont peu appliquées. Ceci s’explique par un déficit de formation de l’ensemble du personnel oeuvrant autour des patients et par une méconnaissance de la pathologie. Bien que dans certains cas le principe de personnalisation soit bien réalisé, l’alimentation et/ou l’hydratation des personnes atteintes de troubles de déglutition sont généralement remplacées par des régimes « texture mixée lisse » et/ou « eaux gélifiées ». Des alternatives plus adaptées pourraient être proposées telles que l’eau pétillante qui, grâce à ses propriétés stimulantes, pourrait constituer une solution suffisante pour faciliter l’hydratation d’un sujet ayant un trouble léger de déglutition aux liquides.
Afin de faire progresser la prise en charge de la pathologie, l’association IDDSI ( International Dysphagia Diet Standardisation Initiative ) a été créée en 2015. Ayant constaté de réelles diversités de pratiques et le besoin d’une uniformisation de celles-ci, des experts du domaine du monde entier se sont accordés pour définir et pour caractériser les différentes textures pouvant être recommandées aux patients. C’est une réelle avancée dans ce domaine puisque cette initiative permet de définir des standards de prise en charge et d’uniformiser les méthodes entre soignants et personnes impliquées autour du patient à l’échelle internationale.
Problématique peu abordée lors des études médicales et paramédicales, la dysphagie est une pathologie au diagnostic complexe. En France, peu de professionnels de santé sont actuellement formés à la prise en charge de cette maladie très incommodante et handicapante pour les sujets touchés. Ce déficit de formation engendre des problématiques telles que le sous-diagnostic de la pathologie, mais aussi des difficultés pour des soins efficaces et sécuritaires des patients.
Concernant l’alimentation et l’hydratation des sujets dysphagiques, là encore les solutions proposées peuvent être plus ou moins qualitatives. Des professionnels formés et engagés seront à même de proposer aux patients concernés des solutions sécurisantes et appétissantes, alors que dans d’autres cas l’aspect « plaisir » et culinaire sera totalement oublié. L’objectif principal étant d’améliorer la qualité de vie de ces patients, les enjeux sont multiples. Faire connaitre la pathologie et former les professionnels seront des clefs pour contribuer à l’amélioration de la prise en charge de ces patients, uniformiser les pratiques permettrait de faire progresser la recherche dans le domaine et d’améliorer la qualité des soins. Enfin, l’appareil de déglutition étant également une fonction sensorielle, il est essentiel de sensibiliser les équipes aux besoins « culinaires » des patients afin que cet aspect ne soit plus délaissé au risque de perdre le bénéfice des soins administrés.
Par Lucie Borjon, experte Dysphagie chez Nutrisens