De nouvelles stratégies de réduction des risques à l'étude

La réduction des risques chez les usagers de drogues par voie intraveineuse sera au cœur de la Conférence internationale sur le sida (Vienne, 18-23 juillet). L'ANRS y consacrera, le 19 juillet, un symposium satellite « Harm reduction: time to switch from repression to evidence ». L'occasion ici de rappeler quels sont les programmes de recherche en cours. Ils évaluent de nouvelles stratégies de réduction des risques auprès des populations les plus exposées aujourd'hui, en tenant compte, en particulier, des nouveaux comportements des usagers.

En France, la politique de réduction des risques a débuté en 1987 avec la libéralisation de la vente des seringues dans les pharmacies, puis, au milieu des années 90, s'est poursuivie par la mise en place de programmes d'échanges de seringues. Parallèlement, les traitements de substitution aux opiacés ont été autorisés à la prescription, en médecine de ville pour la buprénorphine et dans les centres spécialisés pour l'initiation de la méthadone. De longue date, les recherches dans l'hexagone ont été soutenues par l'ANRS et ont mis en évidence un impact certain de cette politique.

Réalisée en 2004 auprès de 1 500 usagers de drogues, l'étude Anrs/InVS Coquelicot (responsable : Marie-Jauffret-Roustide, InVS/Cermes3/Inserm U988, Saint-Maurice) a ainsi montré :

► Une forte baisse de la prévalence de l'infection par le VIH : 11% en 2004 (0,3% chez les moins de 30 ans) par rapport à 40% en 1995.

La cohorte Anrs Manif 2000 (responsable : Patrizia Carrieri, Inserm U912/ORS PACA, Marseille), qui suit depuis 1995, 467 UDVI infectés par le VIH, a mis en évidence que :

► Les traitements de substitution aux opiacés améliorent l'observance aux antirétroviraux,

► Plus la durée du traitement de substitution est longue et plus la probabilité de maintenir une charge virale indétectable durable est élevée.

« Force est de constater que les mesures de réduction des risques mises en œuvre ont eu un impact positif vis-à-vis de l'infection par le VIH » explique France Lert (Inserm U1018, Villejuif). Mais l'épidémie continue : le risque d'infection est 20 fois plus élevé chez les UDVI que dans la population hétérosexuelle. L'enquête ANRS/InVS Coquelicot a montré que 13% des sujets déclarent avoir partagé leurs seringues, 38% leur matériel et 81% leur pipe parmi les usagers de crack. Des groupes « échappent » aux stratégies de réduction des risques : les personnes en situation de précarité, les femmes, les jeunes consommateurs, les usagers de crack et les détenus. Enfin, ces stratégies n'ont pas fait baisser la transmission du VHC : la prévalence reste stable autour de 60% (un tiers des usagers de moins de 30 ans est infecté).

« De nouvelles stratégies d'intervention sont indispensables pour parvenir à une diminution des pratiques à risque parmi les populations aujourd'hui les plus exposées. » Plusieurs pistes font l'objet de recherches.

« Le modèle français de réduction des risques est très médicalisé, le recours aux pairs a été jusqu'à présent peu développé, constate Marie Jauffret-Roustide. Pourtant cette approche est très intéressante car les pairs transmettent des savoirs qui sont souvent plus adaptés aux pratiques des usagers, ils ont plus de crédibilité et permettent l'adoption de nouveaux comportements. »

►Le projet Anrs/InVS « Pipe à Crack », élaboré dans une démarche participative associant chercheurs, acteurs de terrain et usagers, s'en inspire (responsable scientifique : Marie Jauffret-Roustide). Il évalue, chez des fumeurs de crack, l'utilisation de pipes industrielles en pyrex, moins cassantes et chauffantes que les tubes en verre bricolés par les usagers. Ces pipes artisanales sont en effet responsables de nombreuses lésions au niveau des mains et de la bouche qui sont autant de portes d'entrée potentielles à la contamination par le VHC. Les résultats sont attendus pour mi 2011.

►Par ailleurs, une étude est en cours en milieu carcéral où est réalisé un état des lieux des outils de réduction des risques disponibles (étude ANRS PRI2DE sous la responsabilité de Laurent Michel, Hôpital Emile Roux, Limeil-Brevannes). Cette étude de faisabilité pourrait aboutir à un projet plus vaste de recherche interventionnelle en milieu carcéral.

►Enfin, d'autres approches de recherche visent à élargir l'accès à la méthadone afin de réduire encore la pratique de l'injection. L'étude Anrs Méthaville cherche à déterminer si l'induction du traitement par la méthadone, aujourd'hui réservée aux centres spécialisés en raison d'un risque élevé d'overdose en cas de dosage inadapté, peut être réalisée en médecine de ville. Cette étude est actuellement en cours auprès de 150 UDVI. « L'objectif est de montrer que la primo-prescription de la méthadone peut être réalisée par des médecins généralistes formés dans de bonnes conditions de sécurité » indique Patrizia Carrieri, responsable scientifique de Anrs/Méthaville.

La situation épidémiologique vis-à-vis de l'hépatite C et du VIH parmi les usagers de drogues constitue, encore aujourd'hui en France, un problème de santé publique. C'est une urgence sanitaire pour les pays de l'Est et certains pays asiatiques où l'usage de drogues constitue le principal moteur de diffusion de ces virus. De surcroît, on assiste actuellement à un déplacement des routes du trafic des drogues. D'importantes quantités de produits transitent désormais par l'Afrique de l'Ouest, conduisant à la diffusion de l'usage de stupéfiants et de l'injection, dans les pays de cette région. « Les épidémies qui débutent chez les usagers de drogues sont toujours très violentes et insuffisamment prises en considération par les autorités de santé, comme nous le montre la situation dans les pays de l'Est, explique le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l'Anrs. Il est dès lors important d'agir rapidement en Afrique de l'Ouest, avant que la situation ne s'aggrave. » L'expérience accumulée depuis le début de l'épidémie de sida doit bénéficier sans délai aux pays où ces nouvelles épidémies explosent dans des contextes sociaux et épidémiologiques très variés. Différents projets sont en cours d'élaboration au sein de l'Agence, notamment au Sénégal.

(1) 18e Conférence internationale sur le sida, symposium satellite Anrs « Harm reduction : time to switch from repression to evidence », lundi 19 juillet 2010, 18h30 - 20h30.